Se former « en pratique » : une attente forte des étudiants vétérinaires
Mercredi 29 Mars 2023 Vie de la profession 46710ce nouveau rapport montre que l'envie de quitter le cursus vétérinaire est associée très significativement à une moindre appétence pour les rotations cliniques.
© Théo Delsarte
Maud LAFON
Enquête
Interrogés sur leur impatience à recevoir un enseignement clinique, les étudiants vétérinaires, quelle que soit leur année de cursus, témoignent de leur appétence pour la pratique. Ils sont très largement majoritaires à estimer ne pas en bénéficier suffisamment au cours de leur cursus. L'association Vétos-Entraide, en collaboration avec l'Association internationale des étudiants vétérinaires Nantes, a analysé ce phénomène via une enquête conduite au printemps dernier, dans la continuité du rapport sur la vie étudiante vétérinaire réalisé en 2018*.
Dans la continuité d'un rapport conduit en commun par l'association Vétos-Entraide et l'Association internationale des étudiants vétérinaires (IVSA) Nantes sur la qualité de vie et la santé des étudiants des quatre écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises en 2018* (lire DV n° 1632), les deux associations ont produit, début 2023, une douzaine de mini-rapports thématiques (lire DV n° 1652 et 1653). L'un d'entre eux aborde la théorie et la pratique et « l'impatience d'entrer dans le concret pour les étudiants des quatre ENV françaises publiques » **. Dans ce domaine, la frustration des étudiants apparaît élevée.
Ce sujet a été abordé par le biais d'un questionnaire diffusé auprès des étudiants des quatre écoles et ayant reçu 852 réponses (soit 25,2 % de la population étudiante présente et une représentativité d'un bon niveau) qui ont donné lieu à la rédaction d'un rapport.
Envie de concret
Ses auteurs*** ont interrogé les étudiants des quatre premières années d'étude, qui n'ont que peu de contact avec la pratique, sur leur envie de la débuter et les étudiants des six années en ce qui concerne leur satisfaction quant à la quantité de pratique.
« L'envie de concret » et de « passer à l'action » est omniprésente dans le verbatim rapporté par les étudiants qui se montrent globalement très impatients de commencer les cliniques quel que soit leur école ou leur sexe. Seuls 5,3 % d'entre eux ne le sont pas ou peu (figure n° 1).
L'impatience de se confronter à la pratique diminue cependant de promotion en promotion, même si la moyenne reste élevée (figure n° 2). L'analyse de cet état de fait inattendu met en évidence une certaine appréhension véhiculée par les élèves des années précédentes et les réseaux sociaux quant au déroulement de la formation clinique, notamment sur la charge de travail qui va considérablement augmenter et aussi une certaine déception face à une réalité éloignée des attentes et un manque de préparation.
« Préparer les élèves durant les trois premières années du cursus aux futures rotations cliniques, à leurs modalités ou à leurs finalités serait avisé afin de limiter l'appréhension de s'y confronter », analysent les auteurs du rapport.
Un facteur d'épanouissement
Le croisement entre l'envie de commencer les cliniques et le fait de considérer ses études épanouissantes est net (figure n° 3), la pratique étant vécue comme un renforcement de cet épanouissement.
Le suivi des cours magistraux est peu associé à l'envie de pratiquer. « Il semble néanmoins que les élèves les plus assidus sont aussi ceux qui sont les plus impatients d'entamer les cliniques », constatent les auteurs.
Les données montrent que la charge de travail ressentie n'est pas en relation avec l'envie d'aborder la pratique. Néanmoins, les étudiants qui ne s'attendaient pas à affronter une charge de travail aussi importante sont aussi ceux qui sont les moins impatients d'effectuer des rotations cliniques.
Le sentiment de son niveau académique n'est pas en relation avec l'envie de pratiquer, ce qui était le cas dans une précédente enquête sur l'envie de quitter les études (lire DV n° 1652).
Par ailleurs, ce nouveau rapport montre que l'envie de quitter le cursus vétérinaire est associée très significativement à une moindre appétence pour les rotations cliniques.
Vraiment faits pour les études vétérinaires ?
« Nous pouvons supposer que certains élèves se posent la question de savoir s'ils sont vraiment faits pour les études vétérinaires et s'ils ont choisi la bonne voie en voulant devenir praticien » , en déduisent les auteurs.
Tout comme dans la précédente enquête, l'état moral des étudiants est corrélé négativement à l'envie de commencer les cliniques : les étudiants les plus tristes sont aussi ceux qui n'ont pas très envie de commencer la pratique.
Autre item significatif, la confiance dans l'avenir et l'impatience de commencer les cliniques sont très significativement reliées pour les étudiants vétérinaires.
Le soutien et le respect ressentis de l'encadrement et des enseignants sont également très significativement reliés à la motivation de pratiquer.
La deuxième partie de l'enquête concerne la perception des étudiants quant à l'importance quantitative de leur formation clinique et les questions ont, cette fois, été posées aux étudiants des six promotions et pas seulement des quatre premières années.
Trop peu de pratique
Globalement, ils considèrent leurs études trop théoriques et seuls 12,4 % estiment qu'il y a suffisamment de pratique dans celles-ci (figure n° 4) . Pour 72,7 %, il y en a trop peu. Le manque de pratique est donc également ressenti par les étudiants de 5 e et 6 e années.
De l'analyse de ces données et de la lecture des verbatim se dégagent un certain nombre de pistes d'évolutions que les auteurs listent en fin de rapport :
- permettre un enseignement axé sur une pratique précoce ;
- imaginer une formation en alternance plus systématisée ;
- préparer les élèves durant les trois premières années du cursus aux futures rotations cliniques ;
- donner du sens aux cliniques au-delà de la « pratique » ;
- détecter les élèves en difficultés et ayant besoin d'un soutien ;
- limiter le savoir encyclopédique au profit d'une grande cohérence des enseignements prodigués afin d'éviter aussi l'effet « fuite de la théorie vers la pratique ». ■
* Rapport disponible en ligne : https://vetos-entraide.com/rapport-souffrance-etudiants-2018/.
*** Marie et Thierry Babot-Jourdan de Vétos-Entraide avec la participation de Clara Brunet de Gail et Carole Edel de l'IVSA Nantes.