Oclacitinib : un triple intérêt lors des régimes d'éviction
Mercredi 15 Fevrier 2023 Animaux de compagnie 46353Le prurit podal est parfois intense lors d'allergie alimentaire.
© A. Muller
Arnaud MULLER
Eric GUAGUÈRE
Spécialistes en dermatologie
Clinique vétérinaire Saint-Bernard (59)
Dermatologie
L'allergie alimentaire représente un véritable challenge diagnostique car l'absence, à ce jour, de tests sanguins fiables conduit le vétérinaire à proposer un régime d'éviction alimentaire dont la durée et la difficulté de choix peuvent poser des problèmes d'observance et d'interprétation. Le recours à des molécules antiprurigineuses au cours de ce test alimentaire peut alors aider le prescripteur dans sa démarche diagnostique. L'oclacitinib en particulier est une molécule intéressante dans ce contexte.
Le principe du régime d'éviction alimentaire est de nourrir un chien ou un chat suspect d'allergie alimentaire (signes cutanés et/ou digestifs évocateurs) avec des ingrédients ne pouvant pas provoquer une réaction d'hypersensibilité chez cet animal soit parce qu'il n'en a jamais ingéré et ne peut donc y être sensibilisé (principe du régime ménager à base de protéines naïves), soit parce que ces ingrédients sont hypoallergéniques (principe des hydrolysats des régimes industriels).
Le grattage, le mordillement ou le léchage sont des signes cutanés fréquents lors d'allergie alimentaire qui représente même une cause majeure de prurit intense (principalement à différencier de la gale sarcoptique chez le jeune et plutôt de la calcinose cutanée ou du lymphome T-épithéliotrope chez l'animal âgé).
Sachant que les études les plus récentes confirment que le diagnostic d'allergie alimentaire nécessite un régime strict pendant 2 mois (voire 3 mois), il paraît évident que cette durée assez longue impose de prendre en charge le prurit, au risque de laisser évoluer gravement la dermatose (lésions secondaires parfois sévères), tout particulièrement si l'animal n'est finalement pas allergique alimentaire.
Action rapide
Le consensus actuel semble être le suivant : il est possible d'utiliser un antiprurigineux (agissant assez rapidement : dermocorticoïde pour des lésions inflammatoires localisées, oclacitinib, corticoïdes, lokivetmab) sur les deux premiers tiers de la durée du régime, donc pendant 4 ou 5 semaines environ. Si l'on s'intéresse plus précisément à l'oclacitinib, l'une des indications de l'AMM est effectivement « le traitement du prurit associé aux dermatites allergiques », donc notamment à l'allergie alimentaire.
Ainsi, dans l'étude de Gadeyne et coll. (2014), sur 123 chiens à dermatite allergique prurigineuse, l'oclacitinib est administré efficacement à 11 chiens allergiques alimentaires (0,4-0,6 mg/kg, 2 fois par jour pendant 14 jours, puis une fois par jour, 14 jours supplémentaires).
A noter que l'AMM limite l'emploi de l'oclacitinib aux chiens de plus de 12 mois, principalement du fait de la survenue d'une démodécie généralisée chez certains jeunes chiens lors d'une étude d'innocuité à dose élevée.
Amélioration de l'observance
En outre, une étude de Favrot et coll. a montré, en 2019, sur 43 chiens allergiques alimentaires, que la durée du régime d'éviction pouvait être diminuée de 2 semaines (donc durée de 6 semaines, parfois même 4 semaines) en utilisant de la prednisolone en initiation de ce régime (0,5 mg/kg 1 à 2 fois/j sur 3 jours puis 0,5 mg/kg/j pendant 5 à 17 jours et enfin 1 jour sur 2 pendant 6 à 8 jours).
En 2021, Fischer et coll. démontrent un effet comparable de l'oclacitinib (par rapport à la prednisolone) administré pendant 2 à 3 semaines sur la diminution de la durée du régime d'éviction (4 à
6 semaines) chez 58 chiens allergiques alimentaires.
Une durée plus courte de la phase d'éviction a pour conséquence évidente une amélioration de l'adhésion du propriétaire et de l'observance du régime.
Le diagnostic définitif d'allergie alimentaire se fonde sur une disparition des symptômes lors de la phase d'éviction alimentaire, couplée à leur réapparition lors de la phase dite de provocation. Cette dernière est donc obligatoire, au risque de poser un diagnostic erroné (entre 20 et 40 % des animaux améliorés par le régime ne rechutent pas lors de la réintroduction des anciens aliments).
Pas d'interférence avec la provocation
Or on comprend bien que lors de réintroduction, cette récidive, de prurit en particulier, peut être masquée par l'utilisation préalable (lors de la phase d'éviction) d'un antiprurigineux à action persistante, comme le lokivetmab (effet pouvant dépasser
6 semaines) ou la ciclosporine, voire même les corticoïdes s'ils ont été employés jusqu'à une date proche de la provocation. En revanche, par leur demi-vie courte et l'absence d'effet prolongé, l'oclacitinib, donné éventuellement dans la période d'éviction, n'interfère absolument pas avec la provocation.
De même, en cas de non réponse au régime d'éviction, l'enquête allergologique peut être immédiatement poursuivie, notamment par des tests cutanés puisque ceux-ci ne sont pas perturbés par l'oclacitinib, contrairement à ce qui est observé avec les corticoïdes.
En conclusion, le triple intérêt de l'oclacitinib lors de régime d'éviction alimentaire réside dans son effet rapide sur le prurit, son absence d'action prolongée (pas d'interférence avec le test de provocation, ni avec d'éventuels tests allergologiques en vue d'une désensibilisation si le régime d'éviction n'a pas permis une amélioration significative) et, enfin, la réduction de la durée de l'éviction. ■
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