Neuro-ophtalmologie : rendre simple ce qui peut paraître compliqué

Fabrice CASTANET

Vision

La neuro-ophtalmologie est la discipline qui regroupe des maladies dont l'expression est à la fois oculaire et nerveuse. Elle concerne les voies visuelles et oculo-motrices. Une série de tests sont utiles à mettre en oeuvre pour l'explorer.

Au cours des ateliers du Sud-Est organisés par le Gemo*, à Grasse du 4 au 6 octobre, notre confrère Philippe Durieux, spécialiste en ophtalmologie, s'est attaché à présenter le plus simplement possible la neuro-ophtalmologie, domaine où se croisent des maladies dont les signes sont à la fois oculaires et nerveux.

La neuro-ophtalmologie concerne aussi bien l'aspect sensoriel de la vision que son indissociable soutien oculomoteur.

Sur le plan anatomique, elle concerne les voies visuelles, allant de la papille (tête du nerf optique) au cortex visuel, et les voies oculo-motrices, partant d'aires corticales initiant le mouvement oculaire ou du système vestibulaire jusqu'à leur terminaison dans les muscles oculo-moteurs.

Cliniquement, les principaux syndromes de neuro-ophtalmologie regroupent les troubles de la motricité palpébrale/oculaire/pupillaire, les troubles de la sensibilité des paupières et de la surface oculaire et les pertes de vision d'origine nerveuse.

Evaluation de la vision

L'évaluation de la vision à la consultation chez le chien et le chat représente un véritable challenge. La vision est une fonction corticale et la majorité des tests neuro-ophtalmologiques ne permettent que de tester les voies visuelles de conduction mais tester la vision nécessite des tests comportementaux demandant une part active du sujet. 

Selon Philippe Durieux, l'évaluation du résultat de ces tests est entachée de subjectivité et doit être analysée avec un esprit très critique.

Le clinicien doit tenir compte du caractère de l'animal, de son état émotionnel, de son état de conscience, de son état clinique et de ses fonctions cognitives. Cette évaluation sera extrêmement sommaire et ne permettra pas, comme chez l'Homme, une mesure précise de l'acuité visuelle. Le déficit visuel ne sera considéré que modéré ou partiel, sévère ou total.

Les différents tests doivent être précédés d'une anamnèse et de commémoratifs rigoureux : la race, l'âge, le sexe sont des éléments épidémiologiques à prendre en considération.

- Le parcours d'obstacle ( maze test )

L'animal conditionné à son environnement peut ne montrer que des signes discrets de troubles de la vision à la maison. Le clinicien observe d'abord les déplacements de l'animal dans la salle de consultation puis réalise le test du parcours d'obstacles en lumière ambiante et dans la pénombre.

- Le test de clignement à la menace

Le clinicien effectue un geste menaçant vers l'oeil testé en masquant l'oeil adelphe car un animal malvoyant d'un oeil peut rendre un test positif en protégeant ses deux yeux lors d'une menace dirigée sur un seul oeil.

Le geste doit être doux et éviter tout déplacement d'air ou contact qui pourrait fausser le test. Le clignement n'est pas un réflexe mais une réponse corticale qui implique la voie afférente du nerf optique : la fermeture des paupières sous l'action du muscle orbiculaire peut s'accompagner d'un retrait de la tête de l'animal et d'une enophtalmie (enfoncement du globe oculaire sous l'action des muscles rétracteurs du bulbe avec une procidence passive de la membrane nictitante).

La réponse au test n'est physiologiquement présente que chez les chiots et chatons de plus de 10 à 14 semaines. Une lésion cérébelleuse peut être à l'origine d'un faux négatif avec une absence de réponse chez un animal voyant.

- Le test de la boule de coton, le test de poursuite

Une boule de coton est lancée devant les yeux de l'animal puis, oeil par oeil, en pleine lumière et en lumière atténuée. Normalement, l'animal va suivre la boule de coton du regard jusqu'au sol. Certains animaux, comme le chat, réagissent mieux en suivant le déplacement d'un objet ou d'une lumière (laser/lampe de poche) sur le mur ou le sol.

- Le test de placer visuel

Ce test est intéressant pour les jeunes animaux de moins de 3 mois où le test de clignement à la menace est absent.

En pratique, le clinicien approche le chaton ou le chiot d'une table (une surface blanche présente l'avantage d'offrir un bon contraste), les membres libres, pendants : si l'animal voit la surface, il tend ses pattes.

La motricité palpébrale

La fermeture des paupières implique le muscle orbiculaire innervé par la branche auriculo-palpébrale du nerf facial (VIII) tandis que l'ouverture palpébrale fait intervenir le muscle releveur de la paupière supérieure innervé par le nerf oculo-moteur (III) et le muscle lisse de Müller innervé par les fibres sympathiques.

L'exploration clinique consiste à étudier la capacité des paupières à se fermer sous l'influence de stimuli sensitifs ou sensoriels.

- Réflexe de clignement à l'éblouissement lumineux (CEL ou dazzle reflex )

Il s'obtient en éclairant l'oeil avec une lumière vive via un transilluminateur de Finoff par exemple : c'est un réflexe sous-cortical qui déclenche un clignement partiel ou complet de la paupière de l'oeil éclairé et, parfois, de l'autre oeil.

Il peut s'accompagner d'un signe de dégagement et d'enopthalmie de l'animal, gêné par la lumière.

S'il ne permet pas d'explorer la vision, ce test permet de localiser une lésion sur les voies de conduction visuelle ou de les tester lors d'opacité oculaire.

En cas d'atrophie du sphincter pupillaire en présence d'une opacité des milieux oculaires, seul ce réflexe permet l'exploration des voies de conduction visuelle jusqu'au chiasma optique (si la voie efférente est fonctionnelle).

- Réflexe d'attouchement cornéen

Il est déclenché en touchant la cornée au moyen d'un coton-tige. Il entraîne la fermeture de l'oeil, parfois aussi celle de l'oeil controlatéral mais elle est plus discrète.

Il fait intervenir la voie afférente du nerf trijumeau V (branche ophtalmique : canthus nasal/ branche maxillaire : canthus temporal) et la voie efférente par le nerf facial VII (nerf auriculo-palpébral).

- « Réflexe » d'attouchement palpébral

Il nécessite une perception consciente et il peut être volontairement annulé. Ce n'est donc pas à proprement parler un réflexe mais davantage un test : en touchant la peau de la paupière supérieure, on déclenche un clignement de la paupière.

Il fait intervenir le même arc réflexe que le réflexe d'attouchement cornéen.

- Test de clignement à la menace

La motricité du globe oculaire

Elle fait intervenir les muscles mobilisateurs du globe : muscles droits dorsal, latéral, ventral, médial, les deux muscles obliques dorsal et ventral et le muscle rétracteur du globe et le nerf oculo-moteur III, le nerf trochléaire IV et le nerf abducens VI.

Le nerf III innerve les muscles mobilisateurs à l'exception du muscle droit latéral et le muscle oblique ventral, le nerf IV innerve le muscle oblique dorsal et le nerf VI innerve le muscle droit latéral et le muscle rétracteur du bulbe.

Le système vestibulaire ajuste le maintien du regard aux mouvements de la tête grâce aux relations entre les noyaux vestibulaires et ceux des nerfs III, IV et VI par l'intermédiaire du faisceau longitudinal médial (FLM).

L'exploration clinique consiste à rechercher des anomalies de la motricité du globe oculaire.

- Strabisme

Lors de trouble statique, on parle de strabisme qui correspond à une déviation de l'axe optique du globe oculaire : il peut être d'origine nerveuse ou mécanique.

Sa direction dépend de l'atteinte du nerf concerné : strabisme ventro-latéral lors de lésion du nerf oculo-moteur III, strabisme rotationnel lors de lésion du nerf VI et strabisme médial en cas de lésion du nerf IV.

- Nystagmus

Lors de trouble dynamique, on parle de nystagmus qui correspond à un mouvement involontaire et oscillant du globe oculaire. Il est toujours anormal si la tête n'est pas en mouvement. Il peut être pendulaire (durée et amplitude identiques) ou à ressort avec une phase lente de dérive et une phase rapide de recentrage.

Il existe plusieurs types de nystagmus physiologiques : le réflexe oculocéphalique, le nystagmus optocinétique, le nystagmus post-rotationnel.

Mettre en évidence ces nystagmus physiologiques permet d'évaluer la capacité des globes oculaires à effectuer des mouvements d'adduction et d'abduction.

La disparition du nystagmus physiologique s'observe lors de lésions du système vestibulaire, du faisceau longitudinal médial (FLM) ou lors d'une atteinte des nerfs crâniens III, IV ou VI.

- Réflexe oculo-céphalique ou vestibulo-oculaire (VOR)

C'est le plus connu : il s'agit d'un réflexe physiologique. Un déplacement rapide de la tête vers la droite s'accompagne de petits mouvements lents de poursuite vers la gauche pour stabiliser l'image sur la rétine puis finalement une saccade rapide vers la droite pour observer la nouvelle image et la stabiliser sur la rétine.

- Mouvements de saccades oculaires - nystagmus optocinétique

On parle de poursuite oculaire : mouvements qui maintiennent la stabilité de la scène visuelle. Ils peuvent être involontaires (c'est la phase rapide du VOR) ou volontaires : le chien va rediriger ses yeux mais aussi bouger sa tête vers l'objet qui l'intéresse (au contraire de l'Homme).

Le nystagmus optocinétique ou nystagmus des chemins de fer ; cette variété de nystagmus apparaît lorsque les yeux du patient se concentrent sur des images qui défilent.

Il est constitué d'une série de saccades lentes de l'oeil, qui suit l'objet en mouvement, et d'une secousse rapide semblant rappeler le globe oculaire.

- Nystagmus post-rotationnel

On fait tourner l'animal sur place une dizaine de fois et on observe les mouvements oculaires. La phase rapide du nystagmus se fait dans la direction opposée à la rotation.

La motricité de la pupille : réflexe photomoteur (RPM)

Ce réflexe qui est étudié en général après le test de clignement à la menace permet de localiser la lésion lors de déficit visuel sur les voies de conduction de la vision.

Il est réalisé en ambiance lumineuse faible pour permettre au diamètre pupillaire d'être augmenté avant l'illumination. Le RPM direct s'observe sur l'oeil éclairé et le RPM indirect ou consensuel, sur l'oeil adelphe ou controlatéral.

Du fait de la double décussation (75 % chez le chien, 65 % chez le chat), le RPM direct est plus intense que le RPM consensuel.

C'est un réflexe sous-cortical ne nécessitant pas l'intégrité de toute la rétine pour être présent. Son absence peut être due à une anomalie du sphincter irien et non à un déficit nerveux.

Larmoiement

Il concerne le noyau parasympathique du nerf VII et le noyau salivaire supérieur (ganglion ptérygopalatin).

Une kérato-conjonctivite sèche (KCS) peut être associée à une xérorrhinie : les narines ne sont plus hydratées d'où la formation de croûtes sur le nez.

Il faut toujours envisager une KCS comme d'origine nerveuse si elle est associée à une xérorrhinie. L'utilisation de l'otoscope est conseillée pour tous les cas de KCS unilatérale inexpliquée.

En pratique, on doit réaliser un test de Schirmer dans les cas d'otites (atteinte du nerf VII), vérifier la sensibilité des paupières et de la cornée pour toutes les KCS unilatérales inexpliquées.

Un traitement à base de pilocarpine 2 % collyre administré per os peut être tenté en commençant par 1 à 2 gouttes matin et soir et en augmentant progressivement la dose en l'absence de réponse clinique après plusieurs jours et de l'absence de troubles digestifs secondaires (diarrhée, vomissements) de la part de l'animal.

Une antibiothérapie locale et l'instillation de lacrymomimétiques complètent ce traitement.

* Gemo : Groupe d'étude en ophtalmologie de l'Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1489

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