Coronavirus et virus respiratoire syncytial bovin : des effets sur la santé respiratoire, l'incidence des diarrhées et la sensibilité aux antibiotiques
Mercredi 20 Septembre 2023 Animaux de rente 48215Le signalement des évènements de santé a été effectué de manière volontaire par les éleveurs, sans définition standardisée de ces évènements.
© Laurent Mascaron
Laurent MASCARON
Correspondant en infectiologie et vaccinologie
Courriel : l.mascaron@orange.fr
Elevage laitier
Une étude de terrain menée en Suède sur des troupeaux laitiers montre que leur statut infectieux pour le coronavirus bovin et le virus respiratoire syncytial bovin a de multiples effets sur la santé respiratoire et l'incidence des diarrhées. Un statut indemne ou une protection immunitaire solide des effectifs bovins vis-à-vis de ces deux virus pourraient permettre de mieux contrôler ces effets. L'étude montre aussi un meilleur état de santé, une tendance à une meilleure productivité et une moindre fréquence des traitements antibiotiques ainsi qu'un niveau d'antibiorésistance plus faible dans les troupeaux non infectés par le coronavirus ou le virus respiratoire syncytial bovin.
Le virus respiratoire syncytial (VRS) et le coronavirus bovin sont des pathogènes reconnus qui circulent régulièrement en élevage. Le premier cité est associé aux maladies respiratoires bovines et le second peut se manifester par des troubles digestifs et intervenir à différents stades des maladies respiratoires.
Les animaux infectés peuvent aussi secondairement développer des infections bactériennes nécessitant un traitement antibiotique, qui peut éventuellement sélectionner des germes résistants.
Afin d'évaluer le bénéfice d'un meilleur contrôle de ces infections, voire d'un statut indemne de ces deux virus, une étude de terrain visant à mesurer leur impact sur la santé des troupeaux laitiers et le développement éventuel de résistances aux antibiotiques a été menée par une équipe de recherche en Suède (Duse 2021).
Matériel et méthodes
76 troupeaux laitiers répartis dans différentes régions de Suède (taille moyenne du troupeau : 58 vaches) ont été suivis notamment pour leur statut infectieux vis-à-vis du VRS et du coronavirus bovin, ainsi que différents indicateurs de santé, entre octobre 2015 et mars 2016.
L'exposition des troupeaux à chacun des deux virus a été évaluée par dosage périodique à l'Institut national vétérinaire suédois des anticorps spécifiques par méthode Elisa dans le lait des vaches primipares (mélange des laits de trois primipares) sur trois prélèvements successifs, au moment de l'inclusion dans l'étude puis un an et deux ans plus tard.
Pour chaque virus étudié, les troupeaux ont été classés :
- « récemment infectés » si le premier et/ou le second mélange de laits de vaches primipares était séronégatif, et le troisième séropositif ;
- « régulièrement infectés » si les trois mélanges de laits étaient séropositifs ;
- « indemnes » si le troisième mélange de laits s'avérait séronégatif, quels que soient les résultats des mélanges antérieurs.
Un suivi des données de production et de l'état de santé des troupeaux a été réalisé tout au long de l'étude ainsi que des prélèvements de fèces sur des veaux non sevrés (6 animaux par élevage) afin de rechercher la présence de colibacilles antibiorésistants, simultanément aux prélèvements de lait sur les primipares.
Résultats
État d'infection des troupeaux par le coronavirus et le VRS
Lors du titrage des anticorps sur mélange des laits de trois primipares par élevage au début de l'étude :
- 30 % des troupeaux inclus se sont avérés séropositifs à la fois vis-à-vis du coronavirus et du VRS ;
- 32 % uniquement vis-à-vis du coronavirus ;
- 9 % uniquement vis-à-vis du VRS ;
- 29 % étaient séronégatifs pour ces deux virus.
Basé sur le classement des troupeaux en fonction du titrage des anticorps sur les laits de trois primipares par ferme au cours des trois prélèvements successifs, l'état d'infection des troupeaux a été catégorisé (tableau).
Cas des élevages vaccinés :
- coronavirus : trois troupeaux n'ont pas pu être classifiés car vaccinés contre ce virus au cours de l'étude ;
- VRS : un troupeau n'a pas pu être classifié car vacciné contre ce virus au cours de l'étude.
Niveau de résistance aux antibiotiques
Des colibacilles résistants aux quinolones et aux tétracyclines ont été isolés dans tous les élevages participant à l'étude sauf un. La proportion de veaux par ferme porteurs de tels colibacilles était en moyenne de 49 % pour la résistance aux quinolones et 81 % pour la résistance aux tétracyclines.
Sur les 1 333 isolats de colibacilles soumis à un antibiogramme, 48 % se sont révélés résistants à au moins un antibiotique.
Effets de l'infection du troupeau par le coronavirus ou le VRS sur l'état de santé et l'antibiorésistance dans les élevages
Effets associés à l'état d'infection du troupeau par le coronavirus
Comparés aux troupeaux «indemnes », les élevages « régulièrement infectés » par le coronavirus ont montré notamment :
- une fréquence des signes de toux significativement supérieure chez les veaux, les génisses de remplacement et les vaches (OR = 2,8 puis 6,3 et 13,1 respectivement) ;
- une fréquence des diarrhées significativement plus élevée chez les génisses de remplacement et les vaches (OR = 2,8 et 3,8 respectivement) ;
- une proportion plus importante de vaches présentant une fièvre non spécifique (0,48 % vs 0,064 %).
Comparés aux troupeaux « indemnes » , les élevages « récemment infectés » par le coronavirus ont montré :
- une fréquence des signes de toux significativement supérieure chez les veaux, les génisses de remplacement et les vaches (OR = 7,1 puis 7,2 et 11,4 respectivement) ;
- une fréquence des diarrhées significativement plus élevée chez les génisses et les vaches (OR = 4,7 et 3,8 respectivement).
Effets associés à l'état d'infection du troupeau par le VRS
Comparés aux troupeaux « indemnes » , les élevages « régulièrement infectés » ont montré en particulier :
- une fréquence des signes de toux significativement supérieure chez les génisses de remplacement (OR = 5,8) ;
- une proportion plus importante de colibacilles résistants aux quinolones (4,9 % contre 1,2 %) ;
- une proportion inférieure de vaches présentant une fièvre non spécifique ;
- une tendance à une production laitière inférieure (29,7 kg ECM/vache/jour contre 31,9 : p = 0,087).
Comparés aux troupeaux « indemnes », les élevages « récemment infectés » ont montré :
- une fréquence significativement plus élevée des diarrhées chez les veaux et les génisses de remplacement (OR = 1,7 et 2,6 respectivement) ;
- une proportion plus importante de colibacilles résistants aux quinolones (5 % contre 1,2 %), une fréquence plus élevée de colibacilles multirésistants (OR = 1,8) ;
- une tendance à une mortalité des veaux plus élevée.
Discussion
Globalement, l'étude a montré un meilleur état de santé, une tendance à une meilleure productivité et à une moindre fréquence des traitements antibiotiques ainsi qu'un niveau d'antibiorésistance plus faible dans les troupeaux non infectés par le coronavirus ou le VRS :
- productivité des troupeaux : une tendance à une production laitière inférieure a été constatée dans les troupeaux « régulièrement infectés » par le VRS par rapport aux troupeaux classés « indemnes » ; aucun effet sur la production laitière n'a été mis en évidence selon le statut d'infection du troupeau par le coronavirus ; cette étude confirme les résultats d'études précédentes, qui ont montré des effets transitoires dans les troupeaux infectés par le coronavirus ou le VRS ; un nombre de troupeaux inclus plus important ou un suivi quotidien de la production laitière auraient peut-être permis de les mettre en évidence ; aucun effet sur la fertilité n'a été détecté, concernant l'un ou l'autre des deux virus ;
- morbidité en élevage : un effet de l'infection du troupeau par le coronavirus ou le VRS sur la fréquence des symptômes respiratoires et digestifs a été constaté dans l'étude : incidence plus importante des signes de toux dans les élevages infectés par le coronavirus par rapport aux élevages indemnes chez les veaux, les génisses de remplacement et les vaches ; concernant l'infection des troupeaux par le VRS, une incidence plus importante des signes de toux a seulement été montrée chez les génisses dans les élevages « régulièrement infectés » par rapport aux élevages indemnes ; bien que ce virus ne soit pas pathogène au niveau de l'appareil digestif, les troupeaux « récemment infectés » par le VRS ont montré une fréquence significativement plus élevée des diarrhées chez les veaux et les génisses par rapport aux troupeaux indemnes ; cet effet est sans doute lié à d'autres facteurs, comme un niveau de biosécurité inférieur dans les élevages « récemment infectés » ; concernant le coronavirus, dont la pathogénicité au niveau intestinal est bien documentée, une fréquence significativement plus élevée des diarrhées a été constatée chez les génisses et les vaches dans les troupeaux infectés par rapport aux troupeaux indemnes ; cette fréquence était comparable dans les troupeaux « récemment infectés » et « régulièrement infectés », ce qui soutient l'hypothèse d'une protection immunitaire de courte durée après infection, comme mis en évidence dans d'autres études ; aucune relation entre l'infection des troupeaux par le coronavirus ou le VRS et d'autres troubles de santé (santé mammaire, métrites, autres affections des veaux) n'a été détectée ;
- traitements antibiotiques et antibiorésistance : l'infection des troupeaux par le coronavirus ou le VRS n'a pas été significativement corrélée à la fréquence des traitements antibiotiques malgré une incidence plus élevée des signes de toux et des diarrhées dans certaines situations d'infection, par rapport aux élevages indemnes ; seule une tendance à une fréquence plus élevée de vaches traitées aux antibiotiques a été identifiée dans les troupeaux « régulièrement infectés » par le coronavirus par rapport aux troupeaux indemnes, comme d'autres études l'ont montré avec le coronavirus chez les veaux allaitants et en ateliers d'engraissement ; même sans une plus grande fréquence des traitements antibiotiques, des niveaux d'antibiorésistance plus élevés ont été constatés dans certaines situations d'infection par le VRS : fréquence plus élevée de colibacilles multirésistants dans les élevages « régulièrement infectés » que dans les élevages indemnes et proportion supérieure de colibacilles résistants aux quinolones dans les élevages infectés par rapport aux élevages indemnes ; ces relations statistiquement significatives sont très probablement liées au niveau d'hygiène et de biosécurité dans les élevages ;
- limites méthodologiques : les principales limites de cette étude résident dans le fait que différents facteurs de confusion (causes indirectes de différences comme le niveau d'hygiène) ont pu intervenir dans les différences constatées au cours des nombreuses comparaisons statistiques effectuées ; en outre, le signalement des évènements de santé a été effectué de manière volontaire par les éleveurs, sans définition standardisée de ces évènements.
Conclusion
De multiples effets sur la santé respiratoire mais aussi l'incidence des diarrhées dans les élevages ont été mis en évidence lors du suivi de terrain effectué sur plus de 70 troupeaux laitiers en Suède, selon leur statut infectieux vis-à-vis du VRS et du coronavirus bovin. Un statut indemne ou une protection immunitaire solide des effectifs bovins vis-à-vis de ces deux virus pourraient permettre de mieux contrôler ces effets. ■
Référence