Collaboration libérale et salariat : vont-ils devenir les modes d'exercice majoritaires devant le statut de libéral associé ?

Le salariat est, selon le SNVEL, tout à fait adapté au démarrage en clientèle, pour les toutes premières années d'exercice.

© David Quint

Exercice

La répartition des différents modèles d'exercice pour les vétérinaires évolue et l'exercice libéral avec détention des capitaux de son entreprise n'est plus l'aboutissement systématique d'une carrière. Notre consoeur Françoise Bussiéras, vice-présidente du SNVEL*, fait le point sur les avantages et inconvénients de chaque modèle en fonction des attentes du vétérinaire. Notre confrère Vincent Parez, directeur général de VetPartners France, devait intervenir également sur ce sujet lors du congrès France Vet, le 10 juin, à Paris**.

Avez-vous noté une évolution dans les modes d'exercice des vétérinaires ces dernières années ?

Françoise Bussiéras, vice-présidente du SNVEL* : Depuis de nombreuses années, la tendance va vers une augmentation relative du salariat par rapport au statut de libéral (environ 7 000 salariés pour 12 000 libéraux). Depuis quelques années, des cliniques se regroupent en réseaux, phénomène qui va en s'accélérant. Certaines restent indépendantes capitalistiquement, d'autres intègrent des groupes à capitaux non vétérinaires, en particulier des fonds d'investissement.

L'essor actuel de la médecine vétérinaire canine laisse en effet envisager de bons retours sur investissement et rend nos entreprises attractives pour les placements financiers. Il y a aujourd'hui près de 20 % des vétérinaires qui exercent au sein d'un groupe.

Le statut de collaborateur libéral se développe comme une alternative entre salarié et associé. Il n'est d'ailleurs pas réservé aux débutants mais aussi utilisé par les anciens associés en fin de carrière ou par ceux qui ont choisi de céder leurs parts à une chaîne de cliniques.

C'est un statut qui donne une grande liberté avec peu d'encadrement mais qui a souffert de peu d'informations pour les premiers qui l'ont adopté. Certains en ont abusé ou l'ont détourné. Pourtant, son objectif est clairement contenu dans le mot « collaboration » entre deux libéraux, qu'on pourrait préciser par « absence de lien de subordination ». Ses règles sont personnalisables pourvu qu'elles soient conclues d'un commun accord entre les deux parties.

Afin d'en améliorer la compréhension à la fois par les titulaires et par les jeunes diplômés, le SNVEL a publié, en 2017, une notice sur ce sujet et Résovet, notre réseau d'experts qui accompagne les libéraux, a pu constater qu'en 5 ans, les déceptions liées à ce statut ont diminué. C'est pour les réduire encore que nous venons de rééditer cette notice avec une position nouvelle du SNVEL sur un montant minimal conseillé de rémunération journalière (lire DV n° 1603). Elle est en accès libre sur le site du SNVEL (www.snvel.fr).

La collaboration libérale permet, si elle est bien utilisée, de respecter et valoriser les jeunes vétérinaires. Elle correspond bien aux envies de certains de ne pas s'engager dans la durée ; elle permet de rendre plus simple une séparation, qu'elle soit à l'initiative du collaborateur ou du titulaire.

Le salariat, à notre avis, est tout à fait adapté au démarrage en clientèle, pour les toutes premières années d'exercice, parce qu'il permet de se consacrer à 100 % à l'acquisition de l'autonomie sur les compétences techniques ou de passer facilement d'un travail à un autre avec des temps et des revenus différents. Il permet aussi de faire facilement des pauses, alors que le statut libéral est très intéressant pour ceux qui veulent rester en clientèle.

La grosse différence entre les deux statuts est le niveau de revenu moyen, supérieur en libéral. Cela s'explique d'une part du fait des charges moins importantes mais aussi parce qu'il est plus facile de convenir d'honoraires élevés avec un collaborateur libéral quand on sait qu'ils seront minorés si l'activité diminue, alors qu'une hausse de rémunération est plus définitive et donc plus engageante en salariat.

En libéral, les bonnes années permettent d'être très bien rétribué et les mauvaises, de vivre sur l'épargne des bonnes années. Dans tous les cas, le collaborateur pourra sécuriser une rémunération minimale inscrite dans son contrat.

Le salariat apporte une sécurité sans vagues mais, par conséquent, à un niveau plus bas qui peut apparaître moins motivant.

Le salariat n'est pas adapté à une activité en clientèle avec des heures flexibles ou avec des astreintes : légalement, il n'est pas autorisé de travailler dans les 11 heures qui suivent une astreinte dérangée alors que la plupart des vétérinaires préfère travailler le lendemain d'une nuit d'astreinte. Le risque pénal pour l'employeur est réel en cas d'accident lorsque les horaires de repos ne sont pas respectés, à tel point que certains employeurs ne font plus faire de gardes à leurs salariés pour éviter un problème.

Contrairement aux idées reçues qui font croire qu'un libéral travaille toujours beaucoup, ce statut permet une grande flexibilité dans le choix de son temps de travail quotidien ou de son nombre de jours travaillés. Il permet au contraire de les minorer très facilement.

Pour poursuivre sur les idées reçues, il faut aussi arrêter de dire que la maternité n'est pas conseillée sous statut libéral. Les choses ont bien changé et, dans de nombreux cas, la vétérinaire sera mieux indemnisée en libérale qu'en salariée. La grossesse pathologique est bien couverte par les assurances classiques d'arrêt de travail.

Et puis, par définition, le professionnel libéral agit pour son client en toute indépendance avant tout intérêt personnel ou privé, ce qui implique l'absence de lien de subordination qui pourrait entraver ses choix. C'est un garde-fou important qui nous prémunit d'objectifs qu'on voudrait nous imposer, tels qu'une utilisation à outrance d'appareils de diagnostic dans un souci de rentabilité ou qu'un acharnement thérapeutique non souhaité par le détenteur de l'animal.

Le rôle du vétérinaire libéral n'est pas de diagnostiquer une maladie à tout prix mais plutôt d'apporter une solution qui bénéficie au couple humain-animal.

Comment bien choisir le modèle d'exercice qui nous correspond en tant que vétérinaire ?

F.B. : Multiplier les expériences aidera à choisir le modèle qui nous convient. Il faut donc commencer par faire des stages, des stages et des stages puis de l'assistanat en dernière année d'études. C'est à nous, vétérinaires installés et fiers de notre modèle, de le transmettre et de le partager.

Le SNVEL a créé le site Stagevet pour que ces vétérinaires motivés se mettent en avant et puissent être plébiscités par les étudiants plutôt que jugés par les seuls avis Google.

Il faut aussi savoir s'en aller quand l'exercice proposé ne nous convient pas et retenter ailleurs. On voit trop souvent des jeunes arrêter la clientèle après une mauvaise expérience en pensant qu'ils se sont trompés de voie.

Nous avons la chance d'avoir un métier très éclectique et il est encore possible de créer son propre modèle ou de changer de modèle au fil des aléas de la vie.

Vous échangez beaucoup avec les vétérinaires, jeunes et moins jeunes. Avez-vous noté une évolution de leurs attentes ?

F.B. : On dit que les jeunes vétérinaires veulent avoir du temps à côté de leur vie professionnelle, travailler en équipe, continuer à aller en formation, être écoutés en tant que personnes, apporter une valeur ajoutée à une entreprise et donner du sens à leur travail. Nous étions nombreux à avoir déjà ces demandes en sortant de l'école au XXe siècle. En revanche, nous avions sans doute moins de choix professionnels et avons, pour certains, dû faire appel à notre résilience suite à de mauvaises expériences, pour rebondir tout en restant vétérinaire.

Aujourd'hui, il est plus facile de quitter un travail pour en trouver un autre, faire une pause ou changer de métier. Il y a aussi la pression des réseaux sociaux, la peur de l'échec médical et la crainte de poursuites, sans oublier le changement climatique et la guerre à nos portes... On observe aussi paradoxalement des jeunes diplômés en détresse face à la trop grande multiplicité de leurs choix. Nous, vétérinaires expérimentés, devons nous adapter pour les écouter et les guider sans les contraindre.

Les cliniques qui ne sauront pas s'adapter seront les dernières à recruter durablement. C'est tant mieux parce que les structures, dans lesquelles les anciens, parfois pas si âgés, n'entament pas un dialogue respectueux avec les jeunes diplômés, ne devraient plus exister dans ce modèle libéral.

Malheureusement, il y a toujours dans les écoles vétérinaires un déficit de formation sur la gestion des relations humaines, que ce soit avec un client ou avec une équipe, alors que les deux font partie du quotidien du vétérinaire en clientèle. Cela génère des peurs face au fossé qui sépare la formation initiale de la pratique en clientèle. Il est indispensable, même si des prémisses apparaissent, que la formation initiale intègre mieux cet enseignement et que les va-et-vient entre la formation en milieu professionnel et dans les écoles soient plus fréquents.

Est-ce que les jeunes ont encore envie d'être des entrepreneurs ? Oui, bien sûr, c'est une solution pour donner du sens à leur vie, être créatifs et décideurs mais le métier s'est complexifié, nos entreprises ont grandi et sont plus lourdes à piloter. Ils ont donc besoin d'être accompagnés, pour apprendre à gérer et de partager, pour garder leur motivation. 

Partage, écoute et respect sont devenus aujourd'hui des valeurs incontournables.

En tant que Syndicat des vétérinaires d'exercice libéral, quelle est votre vision de l'évolution des modèles d'exercice de la pratique vétérinaire ?

F.B. : Nous pensons que les vétérinaires doivent garder la gouvernance de leurs entreprises sur leur activité médicale, en s'appuyant sur des financiers s'ils le souhaitent, mais que la finance ne dicte pas ses choix au détriment de l'éthique et au profit du rendement. Nous ne souhaitons pas voir arriver les dérives de la finance telles qu'on a pu les observer récemment dans des Ehpad***.

C'est tellement facile auprès des clients et intellectuellement gratifiant pour les vétérinaires de pousser nos diagnostics de plus en plus loin... et c'est souvent rentable financièrement. C'est à notre avis essentiel d'avoir eu au moins une phase d'activité généraliste pour être un bon spécialiste. Ça peut être passionnant d'être un très bon généraliste et, contrairement à certains avis, nous pensons que c'est encore possible de l'être en activité mixte.

L'activité généraliste est parfois dévalorisée dans les écoles vétérinaires et l'activité spécialisée est de plus en plus choisie par les jeunes générations dès la fin de leur formation initiale, sans jamais passer par la case généraliste.

Nous avons bien sûr besoin de spécialistes, avec des propositions pointues et de qualité, qui travaillent en collaboration avec les généralistes. Gardons ce regard sur le duo Homme-animal dans son intégralité et continuons à donner envie aux étudiants de devenir ces grands vétérinaires capables de comprendre un animal de A à Z.

Au final, qu'il exerce en salarié ou en libéral, nous pensons que le vétérinaire d'aujourd'hui et de demain ne doit pas se réduire à un scientifique au service du soin. Au-delà d'une parfaite maîtrise des relations humaines, il nous semble essentiel que le vétérinaire soit formé pour comprendre les équilibres financiers de son activité. Les tableaux d'indicateurs doivent être plus souvent utilisés pour apporter une gestion professionnelle de nos entreprises. Ils doivent être étudiés a posteriori pour comprendre, réagir et s'adapter. Ils ne doivent pas, comme on le voit parfois, être les supports d'objectifs à remplir au service du rendement financier, démotivants à long terme et incompatibles avec l'exercice libéral et la prise en compte des attentes personnalisées de nos clients.

Les grands réseaux peuvent apporter des compétences de gestion et des fonctions supports que les vétérinaires connaissent souvent mal. Les vétérinaires qui veulent garder intégralement le pilotage de leurs cliniques tout en restant excellents sur leur métier doivent aussi pouvoir s'adresser à des prestataires extérieurs indépendants spécialisés dans l'activité vétérinaire.

Plus largement, les vétérinaires doivent dès aujourd'hui intégrer leur modèle économique dans une démarche de responsabilité sociétale des entreprises qui respecte à la fois l'animal, l'humain et l'environnement.

Nous pensons que le vétérinaire doit continuer à avoir le choix de son mode d'exercice, donc que les différents modèles coexistent.

Choisir, c'est l'essence d'une profession libérale, son ADN, et c'est plutôt une option qui plaît aux jeunes.

* SNVEL : Syndicat des vétérinaires d'exercice libéral.

** Conférence : Vétérinaire en entreprise : quels modèles d'exercices pour demain, le 10 juin, de 11 h 40 à 12 h 25 en salle accélérateur d'entreprise.

*** Ehpad : établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1623

Envoyer à un ami

Mot de passe oublié

Reçevoir ses identifiants