Chiens de détection olfactive de la Covid-19 : où en sommes-nous ?

Salle de détection à l'école vétérinaire d'Alfort.

© D.R.

Dominique GRANDJEAN

Clothilde LECOQ-JULIEN

Capucine GALLET

Vinciane ROGER

Responsables du programme Nosaïs

Dépistage

Les responsables du programme Nosaïs, qui vise à proposer un test de dépistage de la Covid-19 basé sur les capacités olfactives canines, dressent un état des lieux de leur projet. Ils déplorent les réticences auxquelles ils sont confrontées malgré les preuves de concept apportées.

Depuis début mars 2020, la petite équipe du programme Nosaïs de l'école vétérinaire d'Alfort (ENVA) a tenu bon dans son objectif de tester l'acuité olfactive du chien dans sa possible capacité à détecter la Covid-19.

Pour faire simple, on connaît la puissance de l'odorat du chien, avec ses 200 à 250 millions de cellules olfactives face aux quelques
5 millions de l'humain, justifiant du développement de l'utilisation de cette espèce hors du commun dans la détection d'explosifs, stupéfiants, billets de banque, personnes ensevelies ou égarées... mais aussi dans le dépistage précoce de cancers ou l'alerte de crises pour diabétiques et épileptiques. On sait sans doute moins qu'en Afrique le chien (mais aussi le rat) est utilisé en routine pour le diagnostic de la tuberculose (sur expectorats) ou de la malaria (sur chaussettes portées 24 heures), les maladies infectieuses ou parasitaires.

Signature olfactive spécifique

En nous demandant si la Covid-19 laissait une signature olfactive spécifique détectable par le chien dûment entraîné, nous étions pour la première fois face à une infection virale... sans autre base bibliographique que l'existence de composés organiques volatils spécifiques à certains virus (grippes, maladie des muqueuses bovine) obtenus en cultures cellulaires. Ce faisant, on pouvait imaginer qu'un virus tel que le Sars-CoV-2 pouvait générer les siens lors de ses réplications et actions néfastes dans les cellules. Il fallait démontrer cette possibilité du chien à marquer les personnes positives et ce fut l'objet de la première phase de notre travail que cette « preuve de concept ».

Pas facile de se lancer ainsi sans moyens, sur une idée souvent jugée un peu folle... Prélèvements de sueur (liquide biologique non contaminant) axillaire (pour éviter les contaminations passives), sur compresses chirurgicales (pour éviter les coûts). Travail des chiens sur cônes de détection olfactive (toujours pour éviter tout contact chien/prélèvement)...

Durant toutes nos études ce sont des chiens de sapeur-pompiers qui seront les effecteurs, des SDIS de Seine-et-Marne, de Corse du Sud (merci à notre confrère Aymeric Benard) puis, et surtout, des Yvelines et de l'Oise (merci à Nicolas Dirn). Depuis quelques mois et grâce à la volonté du laboratoire Ceva, sous l'égide de Marc Prikasky et Pierre-Marie Borne, un autre site de travail a vu le jour à Libourne dans une collaboration avec le CHU de Bordeaux, le SDIS de Gironde et la Gendarmerie nationale de Dordogne.

Exemple de One Health

Dès le début, les choses se sont mises en place dans une collaboration quotidienne avec le Liban, puis les Emirats Arabes Unis, et ce sont aujourd'hui 35 pays qui appliquent le programme Nosaïs-Covid-19 tandis qu'une quinzaine d'autres travaillent sur l'urine, la salive ou l'air expiré.

Dès le début également, nous étions persuadés que cette action était un bel exemple de One Health, One Medicine, associant vétérinaires, médecins et cynotechniciens dans un même travail au profit de la santé humaine. Force est de reconnaître que si ce concept est appliqué et apprécié par les médecins de terrain, il est loin d'exister dans la tête de ceux positionnés en décideurs de notre haute administration !

C'est ainsi que, dans moultes discussions, deux paradigmes puissants nous sont apparus comme quasi impossibles à modifier : des vétérinaires cherchant à oeuvrer dans une pandémie humaine, non mais vous plaisantez ? Des clébards aussi efficaces que des machines ô combien sophistiquées, quelle foutaise !

Et bien, désolés, mais aujourd'hui la preuve est faite et conforte les positions prises par nos académies vétérinaires et de médecine fin 2020 et, plus récemment, par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : ça marche et même plutôt très bien !

Preuves de concept

Les publications de preuves de concept, de données de sensibilité et de spécificité du « test olfactif canin », de résultats de déploiements en test de masse sur le terrain (aéroports, frontières, clusters, maisons de retraite...) affluent de nombreux pays (France, Australie, Liban, Emirats, Brésil, Chili, Finlande, Allemagne, Etats-Unis, Grande-Bretagne) et impliquent toutes les universités vétérinaires avec lesquelles nous échangeons.

Les Emirats organisent tous les deux mois un symposium d'échanges qui regroupe maintenant 42 pays, tandis que l'OMS a permis que se structurent plusieurs groupes de travail à thèmes.

Quant à la France..., nous attendons toujours à la fois une démarche décisionnelle mais, qui sait peut-être aussi, des moyens dans le cadre d'un déploiement proposé et détaillé en février dernier ?

A ce jour, nos soutiens sont venus de la direction de l'ENVA (qui nous a fourni des locaux dédiés), d'entreprises privées (Royal-Canin, Ceva, Dômes Pharma, VetOne) et de l'OMS.

Test grandeur nature

Les résultats plus que probants du test grandeur nature réalisé avec l'APHP sous égide de la région Ile-de-France (sensibilité/spécificité moyenne du test olfactif canin à 97/91 pour 1 000, et pour les asymptomatiques à 100/94 pour 100) (lire l'encadré), tout à fait comparables au niveau de résultats du test PCR nasopharyngé, vont peut-être faire réfléchir et infléchir certains réfractaires ?

En évaluation de coût induits, un test canin revient à environ 1 euro (75 fois moins qu'une PCR) et, dans notre mode de travail sur prélèvement de sueur, un chien peut tester environ 150 prélèvements par jour. Pouvoir passer à une détection sur personnes « en files » permettrait sans doute de multiplier ce chiffre par 10. Mais, pour ce faire, il faut une volonté étatique, ne serait-ce que pour faciliter l'accès aux prélèvements (aujourd'hui, il est obligatoire de passer par un protocole de recherche piloté par un CHU et disposant d'un accord d'une Commission de protection des personnes, entre autres).

L'avenir ? L'espoir d'un déploiement intelligent, le travail qui débute avec Handi'Chiens pour former un dépistage de la Covid-19, les chiens d'aide aux personnes à mobilité réduite positionnés en Ehpad, l'implication souhaitable de toutes les administrations disposant de chiens de détection olfactive... Et, peut-être enfin, une nouvelle perception du chien dans nos sociétés, devenu un vrai auxiliaire de la santé humaine !

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1576

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