Actualités thérapeutiques des diarrhées aiguës chez le chien
Samedi 18 Septembre 2021 Thérapeutique 41692© Pascale Bradier-Girardeau
Tarek Bouzouraa
L'auteur de cet article déclare collaborer avec les laboratoires Hill's, Royal Canin, Boehringer Ingelheim, TVM, Vetoquinol, Mano Medical et MS (Melet Schloesing) dans le cadre de publications scientifiques.
La diarrhée aiguë est un motif fréquent de consultation en médecine vétérinaire. Bien que les causes de diarrhées aiguës soient nombreuses, les entérites infectieuses (bactériennes, virales voire parasitaires) et une origine alimentaire (indiscrétion, intoxication et intolérance) sont souvent incriminées.
Il n'est pas toujours nécessaire de rechercher la cause d'une diarrhée aiguë chez le chien, de surcroît si l'état général et l'hydratation restent préservés. Ainsi, l'initiation d'un traitement de soutien et symptomatique est souvent privilégiée, avec un épisode qui répond le plus souvent sans évoluer vers la complication.
LES GRANDS PRINCIPES DE PRISE EN CHARGE DE CES DIARRHEES
Le traitement est avant tout non-spécifique et symptomatique. Il vise à maintenir l'équilibre du malade, tout en favorisant la résolution des signes cliniques. Certains cas critiques sont pris en charge en hospitalisation.
Garantir l'homéostasie hydro-électrolytique
La diarrhée entraîne des pertes de fluides corporels et peut générer des désordres électrolytiques. Des données évoquent la possibilité de réhydrater certains malades par le biais de solutions orales, ce qui peut fonctionner chez les chiens peu atteints et surtout ne présentant pas de vomissements contemporains 1. Ces fluides apportent des électrolytes essentiels et des acides aminés de première ligne (tels que la glycine et la glutamine), délivrés via des petits volumes de fluides, qui sont en règle générale, tolérés par le malade : c'est la nutrition micro-entérale 1-3.
Une spécialité est disponible en France chez le chien (Oralade ND - TVM en France), tandis qu'à l'étranger, les produits employés incluent la formulation Viyo Recuperation ND (Viyo International, Belgique) 1, et l'Hydrolyte ND (Advanced Nutritional Support, NY, État-Unis) 3.
Une étude rapporte que 65 % de chiens présentés avec une diarrhée hémorragique ont spontanément consommé une solution orale proposée 3. La durée et le coût des soins hospitaliers étaient tous deux beaucoup plus faibles, lorsque cette modalité était possible. En revanche, il est probable que les chiens ayant pu ingérer la solution, étaient les moins atteints. Il est possible d'administrer un anti-nauséeux (maropitant à 2 mg/kg q24h PO), voire un anti-vomitif si une cause occlusive est écartée (métoclopramide 0,5 mg/kg q12h PO) 1.
Si les répercussions sont importantes, notamment en cas de parvovirose avec état de choc, le recours à une fluidothérapie intraveineuse (IV) est incontournable. L'objectif est de corriger la déshydratation, de compenser les pertes sensibles en cours et à venir (diarrhées et vomissements), tout en assurant la tenue des besoins d'entretien. En l'absence de baisse de la pression oncotique (notamment en l'absence d'une hypoprotéinémie marquée : protéines totales < 40 g/L), un soluté isotonique du sodium (NaCl 0,9 % ou Ringer Lactate) est employé à raison d'environ 1,5-2 mL/kg/h à l'entretien, auxquels s'ajoutent les besoins liés aux pertes sensibles (environ 10 mL/kg/j) et la correction de la déshydratation qui s'effectue selon les cas en quatre à six heures (% de déshydratation × poids [kg] × 1000 = volume en mL à administrer sur la période) 4,5. Le plan de perfusion vise également à corriger les éventuels déséquilibres électrolytiques (principalement à assurer une complémentation en chlorure de potassium) 1,4,5.
Fournir un support diététique
Les recommandations diététiques lors de diarrhées aiguës ne sont pas consensuelles mais répondent à des règles de bon sens et à l'extrapolation des données issues de la médecine humaine 1.
Après une période de jeûne qui n'est pas indispensable, il est raisonnable de réintroduire une alimentation par petites doses fréquentes avant de redonner l'aliment habituel. Les nutriments ingérés agissent comme facteurs trophiques pour la muqueuse intestinale et participent au maintien de son architecture.
Les aliments hyperdigestibles pauvres en lipides ou les rations ménagères associant du riz cuit à l'eau avec du poulet ou du poisson (voire du fromage blanc sans matière grasse) peuvent également être proposés.
Les aliments enrichis en fibres insolubles agissant en tant que pré-biotiques (lactulose, inuline, fructo-oligosaccharides : FOS et mannan-oligosaccharides : MOS) et en immunomodulateurs naturels (lactoferrine) peuvent être utiles. Ces éléments sont par exemple présents dans les nouvelles gammes hyperdigestibles et enrichies en fibres (Active Biome +) chez Hill's. Ils sont délivrés et digérés par les entérocytes et colonocytes, ce qui génère des acides gras à chaîne courte, tels que le butyrate qui est une source énergétique majeure et une molécule aux propriétés anti-inflammatoires 1. D'autres gammes alimentaires contiennent également des pré-biotiques, comme l'aliment Royal Canin Fibre Response. Par ailleurs, certaines compositions contiennent également des pré-biotiques (en association avec des probiotiques, cf. infra).
Utiliser des protecteurs de la muqueuse
Cette catégorie regroupe le salicylate de Bismuth, le kaolin, la smectite, diverses pectines, le charbon activé et des solutions telles que le phosphate ou l'hydroxyde d'aluminium, voire l'alginate de sodium 1. Au-delà de leur action « couvrante », ces agents peuvent piéger les bactéries et leurs toxines. Ces molécules peuvent également absorber l'eau en excès dans la lumière intestinale, ce qui renforce leur activité et leur intérêt.
Leur emploi ne doit cependant pas être prolongé au-delà de trois à cinq jours, délai au-delà duquel il conviendra d'identifier et de prendre en charge la cause de la diarrhée.
MISE AU POINT SUR L'EMPLOI DES REGULATEURS MOTRICITE (cf. tableau 1)
Les régulateurs de la motricité ne sont pas tous équivalents et ne doivent idéalement pas être systématiquement employés lors de diarrhée aiguë chez le chien 1. En l'absence de diagnostic étiologique notamment, le risque de ralentir le transit et « enfermer » d'éventuels agents infectieux ou toxiques amène certains cliniciens à ne pas prescrire ce type de molécules.
De manière consensuelle, le régulateur à privilégier est le lopéramide qui présente une activité anticholinergique 1. Il reste l'antispasmodique le plus sécuritaire. Cette molécule présente plusieurs mécanismes d'action : stimulant de la motilité, qui paradoxalement accélèrerait le transit mais qui en réalité le maintien et évite un iléus aux conséquences délétères (putréfactions, dysbiose), mais également anti-sécrétoire et agent d'absorption intestinale.
L'emploi de lopéramide est indiqué à très court terme, en phase de stabilisation du malade, afin de réduire les effets indésirables de l'entérite sur l'état général, la douleur viscérale et maîtriser les pertes de fluides à venir. Le clinicien devra cependant veiller à limiter son emploi lors de diarrhées aiguës impliquant un agent infectieux 1.
Par ailleurs, le lopéramide est à employer avec beaucoup de précautions chez les races pouvant présenter un ou deux allèle(s) muté(s) du gène MDR1. En effet, chez ces individus, la molécule sera toxique, bien que des études de pharmacodynamie suggèrent que le fait d'arborer l'allèle muté ne soit pas la seule explication à l'expression d'une toxicité accrue 6.
De manière générale, cette molécule s'emploie pour les cas réfractaires à une prise en charge diététique et reste à employer de manière précautionneuse, notamment lorsque l'origine de la diarrhée a déjà été identifiée.
La N-butylscopolamine est un agent anti-muscarinique qui n'est pas recommandé. Son activité inhibitrice de la motilité, certes recherchée afin de réduire les signes cliniques et l'émission de selles diarrhéiques, augmenterait le risque d'intussusception (non lié à un effet dose-dépendant) nécessitant une intervention chirurgicale en urgence 1.
De manière générale, l'emploi d'autres régulateurs de la motricité disponibles en médecine vétérinaire, comme l'association atropine-sulfaguanidine ou le bromure de prifinium, doit être limité ou évité 1.
NE PAS OUBLIER LA VERMIFUGATION PROPHYLACTIQUE
Même si l'analyse coproscopique est négative, une vermifugation prophylactique est recommandée. En effet, l'excrétion parasitaire dans les selles peut toujours varier dans le temps, ce qui peut générer un résultat faussement négatif à l'analyse, notamment en cas de giardiose ou de trichurose.
Les molécules habituelles à prescrire incluent la milbémycine-oxime (0,5 mg/kg PO) et praziquantel (5 mg/kg PO) (Milbemax - Elanco et génériques), hormis pour les races à risques suspectes de mutation du gène MDR1 ou du fenbendazole (30 mg/kg q24h PO durant 5 jours) (Panacur - MSD).
D'autres molécules peuvent cependant être prescrites en substitution telles que l'oxfendazole (11 mg/kg q24h PO durant 5 jours) (Dolthène - Coophavet) ou l'association praziquantel (5 mg/kg PO) et pyrantel (20 mg/kg PO) 1 (Drontal - Vetoquinol et génériques).
L'ANTIBIOTHERAPIE EST TRES RAREMENT INDIQUEE
L'antibiothérapie doit être évitée lors de diarrhée aiguë, y compris en présence d'une hémochésie ou d'un méléna, témoignant tous deux de dommages érosifs ou ulcératifs de l'épithélium digestif.
En revanche, l'antibiothérapie sera nécessaire :
- en cas de sepsis ou choc septique,
- de neutropénie marquée (inférieure à 2000/mm3 de surcroît si elle est associée à un syndrome fébrile),
- dès lors qu'un phénomène de translocation bactérienne depuis le secteur intestinal est suspecté,
- lorsqu'une parvovirose est confirmée (avec ou sans leucopénie),
- voire en cas de confirmation d'une entérite infectieuse telle qu'une campylobactériose, salmonellose, clostridiose, colibacillose,
- voire une entérite toxinique à Staphylococcus sp. ou à Bacillus cereus 7.
Le sepsis, le choc septique ou la translocation bactérienne sont tous trois présumés dès lors que le statut clinique et hémodynamique se dégradent (tachycardie aggravée ensuite d'une bradycardie, hypotension artérielle, allongement du temps de recoloration capillaire, hypothermie, réduction du statut de vigilance) en dépit des manoeuvres de fluitothérapie consistant à rétablir la volémie (bolus de soluté cristalloïde isotonique ou hypertonique), de l'emploi d'amines vasoactives (noradrénaline, dobutamine) et l'initiation de soins intensifs.
Le choix de l'antibiotique dépend de la suspicion clinique : lors d'une parvovirose avec sepsis compliqué d'un état de choc, l'antibiothérapie emploie l'amoxicilline-clavulanate (20 mg/kg q8h IV) et possiblement une quinolone comme la marbofloxacine (4 mg/kg q24h IV), dans le respect des règles de prescription 7.
L'emploi des quinolones est soumis à des contraintes règlementaires en France, ce qui impose leur emploi uniquement dans des situations précises et encadrées. Ainsi, elles pourront être administrées en urgence lorsqu'un choc septique est confirmé ou dès lors qu'un prélèvement (selles, sang ou fluides corporels) est en cours d'acheminement pour une analyse bactériologique en laboratoire de référence.
Par ailleurs, les salmonelloses et colibacilloses (dont les colites histiocytaires et/ou granulomateuses à Escherichia coli entéro-invasifs confirmées uniquement par méthode d'hybridation in situ en fluorescence : FISH) entraînant des signes cliniques morbides avec choc hémodynamique (septique) peuvent justifier la prescription de cette gamme d'antibiotiques. À l'inverse, lors de campylobactériose, ce traitement sera totalement inadapté compte tenu de l'importante fréquence d'antibio-résistance documentée pour cet agent 7.
L'APPORT MODESTE MAIS GRANDISSANT DES PROBIOTIQUES ET PRE-BIOTIQUES
D'après la définition de l'OMS, les probiotiques sont des micro-organismes vivants qui, lorsqu'ils sont administrés en quantité suffisante, exercent des effets positifs sur la santé, au-delà des effets nutritionnels traditionnels. Les pré-biotiques sont des molécules non-digérées qui aident à maintenir les probiotiques en quantité et qualité adaptée. De nombreuses études sont encore en cours et certaines autres ont suggéré leur intérêt. À l'heure actuelle, les études documentent leur emploi dans un cadre préventif pour
réduire la durée de la diarrhée avant l'introduction des chiens en collectivité (méta-analyse réalisée par un groupe d'experts) 8.
Par ailleurs, les probiotiques pourraient également permettre de réduire le nombre d'épisodes diarrhéiques chez des chiens atteints d'entérites infectieuses en phase active 9,10. Une étude évoque que l'administration de probiotiques contribue à réduire la durée de convalescence lors de gastroentérite aiguë (1,3 jours contre 2,2 jours pour le groupe contrôle) 11.
Bien que les études parues souffrent de limites évidentes (caractère rétrospectif, absence de groupe contrôle, petits effectifs) et que la composition des spécialités testées n'est pas tout autant contrôlée qu'en médecine humaine, de nouveaux protocoles plus robustes sont en cours.
Une étude récente prospective, randomisée et en double aveugle avec groupe contrôle (placebo) a révélé que l'administration d'une pâte probiotique réduisait significativement le temps de diarrhée (médiane de 32 heures contre 47 heures pour le groupe placebo, p = 0,008) et la nécessité d'adjoindre des soins médicaux complémentaires (3,5 % des cas seulement ont nécessité un traitement autre, contre 15 % dans le groupe placebo) 10.
Les effets des probiotiques sur la flore sont transitoires, et la co-administration d'antibiotiques peut inactiver ces agents. Compte tenu de leur innocuité et de leur appétence (surtout pour les chiens dysorexiques), il est raisonnable d'employer les probiotiques.
PLACE DE LA TRANSPLANTATION DE MICROBIOTE FECAL
La « bactériothérapie » fécale est souvent réalisée en derniers recours, chez les chiens ne répondant pas aux traitements conventionnels (cf. photo 2).
Cette technique consiste à prélever des selles d'un donneur sain et de les implanter dans l'ampoule rectale ou en regard de la jonction iléo-colique (sous contrôle endoscopique) d'un malade souffrant d'une enterocolopathie.
L'état des connaissances relatives à cette option thérapeutique évolue actuellement et cette procédure, qui présente une innocuité subtotale peut être envisagée lors de parvovirose 12.
En effet, une étude prospective et randomisée incluant 66 chiots divisés en deux sous-groupes égaux de 33 individus rapporte que l'ajout de la procédure de transplantation à la prise en charge initiale a permis de réduire significativement la durée médiane d'hospitalisation de six à trois jours avec une résolution beaucoup plus rapide de la diarrhée 12.
Une mortalité plus faible a été rapportée chez les chiots ayant reçu un transfert de microbiote fécal (21,2 % contre 36,4 %), bien que cette différence ne soit pas significative sur le plan statistique. En médecine vétérinaire, il n'existe toujours pas de protocole consensuel de sélection du donneur et pour la procédure de transfert.