Vers un réseau d'épidémiosurveillance chez les animaux de compagnie ?
Mercredi 28 Octobre 2020 Vie de la profession 37722Le monde cynophile est organisé de telle sorte que les chiens sont valorisés au cours de rassemblements d'un grand nombre d'individus.
© Sergii Mostovyi-Adobe
Maud LAFON
Prospective
Proposés pour les animaux de rente et les équidés, les réseaux d'épidémiosurveillance sont pour l'instant inexistants dans la sphère des animaux de compagnie. De tels outils seraient pourtant de nature à promouvoir la santé et le bien-être animal, sans oublier leur intérêt en santé publique. La nécessité de l'émergence d'un tel réseau a été confirmée par des intervenants de la filière animaux de compagnie lors d'un colloque organisé sur cette perspective, le 21 octobre.
Organisé conjointement par l'Académie vétérinaire de France, la Société centrale canine (SCC) et le Livre officiel des origines félines (Loof), un colloque, prévu initialement au siège parisien de l'OIE1 et finalement organisé en distanciel, a précisé, le 21 octobre, la pertinence de la mise en place d'un réseau de veille sanitaire des maladies contagieuses des carnivores domestiques.
Animé par notre confrère Jean-Luc Angot, président de l'Académie vétérinaire, il a donné la parole à des acteurs déjà investis dans des réseaux existants en France, notamment pour les animaux de rente, ou susceptibles de prendre part à un tel projet chez les animaux de compagnie, voire déjà sollicités pour le construire.
Notre confrère a précisé que ce projet s'inspirait des trois plate-formes déjà existantes : plate-forme d'épidémiosurveillance en santé animale (ESA) instaurée suite aux Etats généraux du sanitaire de 2010 à destination des animaux de rente, plate-forme d'épidémiosurveillance en santé végétale, créée dans la foulée, et, plus récemment, la plate-forme de surveillance de la chaîne alimentaire.
Collecte des données et mise en réseaux
La surveillance des carnivores domestiques, même si elle n'est pas représentée dans les groupes de travail de la plate-forme ESA, « est traitée au besoin dans le cadre des activités de veille sanitaire internationale si des signaux d'intérêt sont détectés » , a rappelé notre consoeur Céline Dupuy, coordinatrice de la plate-forme. Le cas s'est présenté cette année avec la Covid-19 où l'impact du SARS-CoV-2 chez les chiens et les chats a été surveillé. Un autre projet concernant la maladie d'Aujeszky sur une approche multifilières porc, sanglier, chien est prévu en 2021.
Deux notions sont importantes pour le fonctionnement de ces réseaux quelle que soit leur espèce de destination : la collecte de données sanitaires et la mise en réseau.
« Si la surveillance sanitaire est acquise et active dans les filières de production, la filière Animaux de compagnie est en retard sur ce sujet même si les éleveurs participent de manière isolée ou plus ou moins regroupée à la remontée d'informations sur la situation sanitaire des cheptels » , a souligné notre confrère Alexandre Balzer, vice-président de la SCC en précisant qu'il « serait intéressant de centraliser ces signaux d'alerte » .
La finalité d'une telle surveillance est la détection précoce d'événements sanitaires pour pouvoir riposter par des mesures de lutte adaptées.
Rapports de l'OIE
L'OIE gère déjà un système de notification internationale via des rapports exceptionnels, pour les notifications immédiates d'une maladie, ou semestriels, vis-à-vis de 117 maladies listées dans ses codes sanitaires et des maladies émergentes, comme l'a rappelé notre consoeur Paola Caceres-Soto, chef du service Information et analyse de la santé animale mondiale à l'OIE.
Par le biais de la plate-forme Wahis2, qui deviendra OIE-Wahis fin novembre, les vétérinaires peuvent obtenir des informations pertinentes sur la situation sanitaire mondiale et conseiller leurs clients à l'occasion d'un déplacement avec un chien par exemple (connaissance du statut de différentes maladies dans le pays de destination). Une application de cette plate-forme sera proposée en janvier prochain.
Des réseaux pour animaux de compagnie existent aussi dans d'autres pays comme SAVSNET 3 , au Royaume-Uni, présenté par le Pr Alan Radford, de l'université de Liverpool, qui fédère 15 % des vétérinaires de ce terri toire. Ces derniers remontent environ 6 000 noti fications par jour qui donnent lieu à des recherches menées à l'université de Liverpool, la structure qui les centralise 4 . Notre confrère a chiffré le fonctionnement de ce réseau à environ 200 000 euros par an.
Autre exemple qui fonctionne, présenté par notre confrère Pierre Buisson, président d'I-Cad, et Samy Aitamar, qui intervient à la R & D de la société, un tel réseau a été mis en place en Norvège.
Se servir de la base d'identification
« La France a la chance d'avoir une base unique d'identification des carnivores domestiques et travailler à partir de ce fichier est donc possible », a insisté Pierre Buisson. La Norvège a ainsi construit son système de collecte de données médicales autour de la base d'identification grâce à un outil de collecte de diagnostics connectable avec la plupart des logiciels vétérinaires. Cet outil récolte des informations sur le vétérinaire (numéro d'Ordre pour assurer la traçabilité) et le diagnostic réalisé par ce dernier sur un animal donné, la clé de conversion étant son numéro d'identification.
Les données sont codifiées grâce au travail en amont effectué par un comité scientifique. Ce système présente l'intérêt « de faciliter l'enregistrement des diagnostics, permet de suivre en direct l'évolution des maladies sur le territoire, de générer des alertes épidémiques sur une région donnée, de mieux connaître et prédire les risques pathologiques des animaux ».
Plus de 700 cliniques vétérinaires y participent et 700 000 animaux ont été diagnostiqués en Norvège et en Suède où il est déployé. Des discussions sont en cours avec la France pour le transposer à l'échelle nationale.
Respac de l'Afvac
Autre réflexion en cours sur un futur réseau d'épidémiosurveillance en médecine vétérinaire canine, le projet de l'Afvac5, Respac pour Réseau d'épidémiologie surveillance pour animaux de compagnie, a été présenté par le président de l'association, notre confrère Jean-François Rousselot. « On a des données mais on fait face à un déficit dans leur remontée et leur exploitation », a-t-il constaté.
Un réseau dédié aux animaux de compagnie devrait selon lui être replacé dans le triptyque animal-Homme-environnement. Il nécessite de se focaliser sur deux aspects : les maladies animales (détecter et suivre leur évolution, y compris chez les Nac, en intégrant les maladies infectieuses mais aussi non infectieuses comme les maladies dégénératives et génétiques et les maladies émergentes) mais aussi la relation Homme-animal (détection des zoonoses mais aussi, en comprenant mieux l'évolution du rapport Homme-animal, surveillance des actes de maltraitance, suivi des animaux mordeurs...).
Pour arriver à construire un tel réseau, les leviers à actionner sont selon lui de trois ordres : fédérer les énergies en invitant tous les acteurs de la filière Animaux de compagnie autour de ce projet scientifique et sociétal (organisations professionnelles vétérinaires, écoles vétérinaires, SCC, Loof, associations de protection animale, ministères de l'Agriculture, de la Santé, de l'Environnement) ; se lier aux réseaux existants, à l'instar de Resapath4, du Clapav5, voire des réseaux de médecine humaine ; collecter des données contrôlées et exploitables.
Feuille de route
Un tel réseau pourrait être adossé à un outil déjà existant, en l'occurrence Calypso, pour communiquer ses résultats.
Une ébauche présentant ce réseau a été remise sous forme d'une feuille de route au ministère de l'Agriculture. La réflexion porte actuellement sur le financement, la récolte des données et la plate-forme adaptée à développer.
Les intérêts d'un tel réseau seraient multiples et, outre la dimension de santé publique, se répercuteraient directement au niveau des filières canines et félines.
L'organisation du monde cynophile par exemple, au sein duquel les chiens sont valorisés au cours de rassemblements d'un grand nombre d'individus (jusqu'à 15 000 chiens pour les expositions internationales organisées sur le territoire français), est propice à la diffusion d'agents pathogènes, comme l'a rappelé notre confrère Frédéric Maison, membre du comité de la SCC et président de la commission Elevage.
Ce système de sélection des individus via des rassemblements est également en vigueur chez les chats même si l'échelle est moindre.
Dans de tels modèles, les conséquences d'une crise sanitaire seraient directes et indirectes (impact sur la taille du cheptel, pertes économiques, incidence majeure chez les races à faibles effectifs...).
SCC et Loof intéressés
La SCC et le Loof, dont le vice-président est notre confrère Bernard-Marie Paragon, se sont donc dit particulièrement intéressés et motivés par la mise en place d'un réseau de veille sanitaire.
La pertinence et l'intérêt d'un tel réseau ont donc été salué par tous les participants qui ont réitéré ce souhait de création au cours de la table ronde virtuelle qui a suivi les présentations.
« Il est important de pouvoir détecter les signaux faibles à un moment précoce pour pouvoir réagir » , a insisté notre confrère Jacques Guérin, président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires, en ajoutant que le bien-être animal devrait obligatoirement entrer dans le périmètre d'un tel réseau.
Plusieurs écueils seront néanmoins à prévenir : éviter qu'un intérêt particulier ne prenne le pas sur l'intérêt scientifique général, ne pas se brider dans les données à remonter, ne pas oublier d'acteurs et intégrer notamment ceux de la médecine humaine, accéder à un portage politique fort, définir précisément les accès aux informations, ne pas se limiter aux maladies infectieuses mais intégrer des maladies vectorielles, génétiques..., motiver les vétérinaires et les éleveurs pour la collecte des données, encadrer la gouvernance d'une telle plate-forme pour laisser de côté les intérêts commerciaux, effectuer un travail de priorisation, etc.
La faisabilité d'un tel projet ne va donc pas de soi et, plus que jamais, le consensus sera requis pour qu'il voit le jour.
« L'objectif d'un tel colloque était de lancer le débat avec toutes les parties prenantes sur un sujet qui mérite davantage de considération car les enjeux sanitaires et économiques sont importants » , a conclu Jean-Luc Angot. ■
1 OIE : Organisation mondiale de la santé animale.
2 Wahis : World Animal Health Information System.
3 SAVSNET : Small Animal Veterinary Surveillance Network.
4 Site Internet : liverpool.ac.uk/savsnet
5 Afvac : Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie.
6 Resapath : Réseau d'épidémiosurveillance de l'antibiorésistance des bactéries pathogènes animales.
7 Clapav : Comité de liaison des associations de protection animale et vétérinaires.
Gros Plan : Définitions et fonctionnement
A l'occasion d'un colloque visant à étudier la pertinence de la création d'un réseau d'épidémiosurveillance à destination des animaux de compagnie, notre consoeur Barbara Dufour, professeur d'épidémiologie à l'école vétérinaire d'Alfort, a rappelé la définition de l'épidémiosurveillance donnée par le Pr Toma en 2010 : « Méthode fondée sur des enregistrements permettant de suivre de manière régulière et prolongée l'état de santé ou les facteurs de risque d'une population définie, en particulier de déceler l'apparition de processus pathologiques et d'en étudier le développement dans le temps et dans l'espace en vue de l'adoption de mesures appropriées de lutte ».
L'épidémiosurveillance ne doit pas être confondue avec l'épidémiovigilance qui est une « méthode d'observation en continu permettant de détecter des entités pathologiques nouvelles ou exotiques en vue de l'adoption de mesures appropriées de lutte ». Cette notion s'adresse donc à l'émergence de maladies inconnues sur un territoire donné.
Différencier réseau et dispositif
Le réseau d'épidémiosurveillance est un « ensemble de personnes ou d'organismes structurés pour assurer la surveillance sur un territoire donné d'une ou plusieurs entités pathologiques » . La structuration est une notion primordiale et différencie le réseau du dispositif qui collecte les données de manière non structurée. Elle s'appuie sur trois acteurs :
- un comité de pilotage : il comprend un représentant de toutes les institutions membres du réseau et prend les décisions ;
- un comité scientifique : il développe et valide les protocoles ;
- une unité centrale : elle anime et coordonne le réseau.
Une autre frontière sépare la surveillance épidémiologique de l'épidémiologie d'intervention qui vise à élaborer des recommandations suite à la détection d'un événement anormal. Le réseau d'épidémiosurveillance ne permet pas pour sa part d'agir directement. M.L.
Gros Plan : Des objectifs à connaître
Créer et surtout faire vivre un réseau d'épidémosurveillance implique d'abord d'en connaître le fonctionnement. La structuration du réseau est ainsi un point central, de même que le travail de son animateur.
En France, les systèmes d'épidémiosurveillance sont réservés aux espèces de rente et aux équidés. Mettre en place un tel réseau pour les animaux de compagnie implique d'abord d'en connaître et d'en maîtriser le fonctionnement.
Notre consoeur Barbara Dufour, professeur d'épidémiologie à l'école vétérinaire d'Alfort, a donc précisé la définition de tels réseaux et la façon dont ils se constituent lors d'un colloque sur le sujet, le 21 octobre.
Elle a rappelé les six objectifs d'un réseau, les quatre premiers étant dédiés aux réseaux d'épidémiosurveillance, le 5e , au réseau d'épidémiovigilance et le dernier étant moins primordial :
- hiérarchiser des priorités ;
- évaluer des actions de lutte quand elles sont mises en place ;
- choisir des stratégies de lutte ;
- prouver l'absence d'une maladie ;
- voir émerger des maladies ;
- dégager des pistes de recherche.
Quatre niveaux
Concernant ce dernier objectif, notre consoeur Sophie Le Poder, virologiste à l'école vétérinaire d'Alfort, a confirmé que « pour faire avancer la connaissance scientifique moléculaire, il faut des données brutes et des remontées du terrain ».
Le réseau d'épidémiosurveillance s'appuie sur quatre niveaux : le terrain (élevage...) où sont collectées les données ensuite acheminées vers le niveau local (vétérinaire privé, technicien vétérinaire...) qui les centralise et les valide avant de les transférer au niveau intermédiaire (unité vétérinaire d'Etat, laboratoire provincial) qui les centralise et les envoie au niveau central (services vétérinaires centraux, laboratoire central).
C'est donc une information traitée qui est ensuite diffusée et non des données brutes.
On distingue trois types de réseaux en fonction des modalités de surveillance :
- surveillance événementielle (passive) : c'est celle qui sera utilisée préférentiellement pour les animaux de compagnie ;
- surveillance programmée (active) exhaustive ou sur échantillonnage : l'animateur sollicite des cas ;
- surveillance syndromique : analyse d'une base de données.
Sept points critiques
Barbara Dufour a listé sept points critiques qui conditionnent la survie d'un réseau : sensibilisation (intéresser les participants au réseau et obtenir leur adhésion), formation au fonctionnement du réseau (standardiser les données recueillies via une formation pratique et interactive adaptée au réseau), standardisation (pour rendre compatibles plusieurs séries d'observation), activation de la surveillance événementielle (créer du buzz pour que les acteurs ne se lassent pas), interprétation scientifique des données (nécessite une bonne collaboration entre tous), diffusion de l'information (interne et externe auprès des personnes nécessaires à l'action), relation entre les parties prenantes du réseau.
Pour presque tous ces points, l'animateur du réseau, « un poste à plein temps », a un rôle clé et conditionne sa pérennité. M.L.