Révolution thérapeutique

© Thierry Poitte

La thérapeutique des douleurs chroniques n'est pas limitée aux médicaments antalgiques et c'est bien légitime. En effet, la pharmacopée actuelle des antalgiques n'est pas pleinement satisfaisante ; il existe des ressources thérapeutiques autres qui ont montré leur intérêt telles que chirurgies, thérapeutiques non médicamenteuses (cognitivo-comportementales par exemple) ; le contexte clinique est complexe, le paramètre cible n'est pas le simple niveau arithmétique de douleur mais l'état global du patient avec ses éventuelles comorbidités liées à la souffrance ressentie.
Ce chapitre consacré aux traitements prendra en compte ces approches pharmacologiques et non pharmacologiques des douleurs chroniques, en prenant souvent le contexte des douleurs arthrosiques comme illustration.

PHARMACOLOGIE

La pharmacopée actuelle des antalgiques utilisés couramment en médecine humaine ou vétérinaire est pour l'essentiel une pharmacopée ancienne, faite de produits au ratio bénéfice/risque problématique (cf. encadré 4). Elle est, par ailleurs, plus pertinente pour les douleurs aiguës que pour la prise en charge des syndromes douloureux chroniques dont certains (douleurs nociplastiques) peuvent être considérés comme quasi orphelins de traitement médicamenteux.

Les antalgiques anti-nociceptifs 

Ces antalgiques traitent les douleurs nociceptives.

Les antalgiques non opioïdes : paracétamol et AINS

- Le paracétamol (acétaminophène) 

Le paracétamol a des propriétés analgésiques et antipyrétiques mais, contrairement aux AINS, n'a pas d'activité anti-inflammatoire sensu stricto. Les mécanismes d'action de ce médicament sont divers et toujours en cours d'étude. Parmi les modalités de contrôle de la douleur, les plus pertinentes pour expliquer l'effet du paracétamol semblent être actuellement l'inhibition des cyclooxygénases et l'activation des voies sérotoninergiques descendantes. Le paracétamol pourrait également interagir avec les systèmes opioïdergiques ou celui de l'oxyde nitrique. Récemment, on a découvert des effets antiarythmiques du paracétamol sur le myocarde du chien. Il semblerait que le paracétamol, en réduisant l'activité de la myélopéroxydase, puisse réduire l'oxydation des lipoprotéines de bas poids moléculaire des macrophages (LDLs, low density lipoprotein) et ainsi réduire le risque d'arythmies. Cet effet cardioprotecteur s'exprimerait avec des infarctus de taille réduite et un taux de mortalité fortement réduit. De même, une dose quotidienne de 1,5 g de paracétamol (500 mg toutes les 8 heures) s'est montrée capable de moduler la réaction d'inflammation postopératoire aiguë chez les chiens testés sans produire de signes cliniques néfastes ou d'effets indésirables. Ce résultat a révélé que le paracétamol peut prévenir certaines séquelles chirurgicales postopératoires ou post-traumatiques chez le chien 47-49.

L'administration de paracétamol chez le chien à 10 - 15 mg/kg toutes les 8-12 heures semblerait être dépourvue d'effets gastro-intestinaux, rénaux ou liés à une éventuelle perte d'agrégation plaquettaire 50. Les effets toxiques ne sont observés qu'à une dose supérieure à 100 mg/kg, à l'inverse du chat chez qui même une dose de paracétamol très faible peut entraîner une intoxication très grave à cause du déficit en glucoronyl transférase.

Il existe des preuves significatives d'une utilisation « sans danger » du paracétamol lorsqu'il est prescrit à doses thérapeutiques et pour une période limitée (chez le chien) 51. La variation des effets physiologiques et des interactions du paracétamol est probablement due aux effets de potentialisation de l'analgésique morphinique et du tramadol ; mais cela reste à confirmer en médecine vétérinaire.

Toutefois, les résultats d'une étude clinique 52 ont montré que l'efficacité analgésique de l'utilisation combinée de l'hydrocodone et du paracétamol pouvait produire des réponses similaires à celle du tramadol (en agent unique) pour le traitement de la douleur postopératoire chez les chiens.

Le paracétamol peut être utilisé lorsque les AINS sont contre-indiqués ou à risque d'effets indésirables intolérables. Une étude récente a montré une efficacité analgésique du paracétamol équivalente à celle obtenue avec le méloxicam et le carprofène chez les chiennes quarante-huit heures après une ovario-hystérectomie, sans trouver d'effets secondaires néfastes 53.

- Les AINS

Les AINS sont certainement les molécules les plus utilisées en médecine vétérinaire et notamment sur les douleurs de type arthrosique. Cet usage était certainement lié à l'impossibilité d'avoir accès jusque-là à des produits plus pertinents et appropriés dans le contrôle des divers syndromes douloureux. Il n'en reste pas moins que cette catégorie de produits a bénéficié d'un regard attentif de la part de la recherche industrielle qui a permis, aujourd'hui, de voir la commercialisation de produits de plus en plus sélectifs et efficaces. Leur action doit rester ciblée sur le processus inflammatoire qui est souvent à l'origine ou en coparticipation des syndromes douloureux les plus fréquents. Utiliser un AINS sur une douleur spécifiquement neuropathique ou nociplastique n'aurait pas de sens scientifique, mais il est aussi vrai que les syndromes douloureux sont souvent mixtes et l'approche multimodale devient donc une obligation. 

Les AINS constituent un groupe d'analgésiques avec une grande diversité structurelle mais qui converge dans un mécanisme similaire d'action qui bloque le parcours de certaines cyclooxygénase (COX). L'enzyme COX est présente dans la plupart des tissus et elle est constituée de, au moins, deux isoformes : COX-1 et COX-2. Ces deux formes sont constitutives et inductibles. Autrement dit : l'organisme a besoin de ces deux formes et il est capable d'en augmenter la production en cas de besoin (i.e. stimulation). Cela implique qu'un AINS dépourvu d'effets secondaires n'existe pas ! 

Les AINS ont un grand nombre d'effets indésirables, y compris l'insuffisance rénale, ce qui peut restreindre leur utilisation chez les patients en hypotension ou hypovolémie non corrigée (situation péri-anesthésique, comorbidités de l'animal sénior, etc.).

Les opioïdes 

Les opioïdes sont certainement les médicaments les plus anciens et les plus efficaces pour le traitement de la douleur nociceptive. 

Les récepteurs opioïdes sont présents sur les neurones centraux et périphériques, sur les cellules neuroendocrines (hypophyse, surrénales), immunitaires et ectodermiques. Les premières études ont défini trois principaux types de récepteurs opioïdes dans le système nerveux central (SNC), les récepteurs mu, delta et kappa. D'autres types de récepteurs ont été proposés (par exemple sigma, epsilon, orphanin) mais ces derniers ne sont plus considérés comme des récepteurs opioïdes « classiques ». L'identification de l'ADN complémentaire chez la souris a confirmé l'existence de seulement trois gènes.

Les agonistes des récepteurs opioïdes peuvent inhiber efficacement la douleur clinique après administration neuraxiale (intrathécale, épidurale) ou systémique (intraveineuse, orale, sous-cutanée, sublinguale, transdermique), voire périphérique (topique, intra-articulaire) mais le recours à cette voie nécessite encore confirmation clinique.

Les trois types de récepteurs opioïdes peuvent produire de l'analgésie, mais avec des effets indésirables différents, principalement en raison de leur distribution topographique variable et de leur activité fonctionnelle dans les différentes parties des organes centraux et périphériques.

Par exemple, les mu-agonistes peuvent induire une dépression respiratoire, une sédation, une dysphorie/euphorie (selon l'animal), de la nausée et de la constipation. Les kappa-agonistes induisent plutôt de la dysphorie (selon l'animal et sa sensibilité, telle que la mutation du gène MDR-1), de la sédation et de la diurèse (rare), et les delta-agonistes peuvent moduler une sensation de « récompense », de la dépression respiratoire et des convulsions. La plupart de ces effets sont produits dans le SNC, alors que la constipation est principalement médiée par des récepteurs opioïdes dans le plexus myentérique intestinal 54-56.

Des effets antinociceptifs significatifs sont médiés par des récepteurs opioïdes localisés sur les neurones sensoriels périphériques et centraux et les agonistes opioïdes produisent des effets analgésiques plus marqués dans les tissus enflammés que non enflammés. Cela témoigne d'une activation ou surexpression des récepteurs opioïdes dès que le tissu s'enflamme 57-62.

Les lésions nerveuses (à l'origine des douleurs neuropathiques) peuvent elles aussi modifier les récepteurs opioïdes et induire leur surexpression dans les neurones sensoriels périphériques 60,63.

Les opioïdes ont été utilisés (un peu « à tort ») pour tout « type» de douleur. Leur efficacité a été aussi à l'origine de leurs problèmes. Les effets secondaires néfastes, tels que la dépression respiratoire, la dépendance, la sédation, les nausées et la constipation, peuvent être modulés avec une sage adaptation de leur dosage et le bon choix de l'opioïde à utiliser. Leur application clinique est incontestée dans les douleurs aiguës (périopératoires par exemple) et cancéreuses, mais leur utilisation à long terme dans la douleur chronique a fait l'objet, en médecine humaine, d'un examen de plus en plus minutieux. Ceci-dit, les problèmes de la médecine humaine ne sont pas comparables à nos usages « vétérinaires », bien distants de ces phénomènes. 

Le bien-fondé de l'utilisation des opioïdes en cas de douleur nociceptive et aiguë n'est pas à démontrer. Les problèmes les plus graves des analgésiques opioïdes actuellement disponibles découlent de l'activation non sélective des récepteurs opioïdes omniprésents dans les compartiments centraux et périphériques 64. Pour éviter ces effets préjudiciables, les nouvelles pistes de recherche se concentrent sur le développement de molécules qui pourraient activer les opioïdes endogènes et/ou cibler des effets plutôt périphériques. Ces nouveaux médicaments ne sont pas encore disponibles pour une application clinique de routine et il faut rester « sages » dans l'utilisation des opioïdes en optimisant leurs effets sur des douleurs aiguës et peropératoires et les limiter pour des douleurs « chroniques » durables.

Les cannabinoïdes 

Chez l'homme, les nombreuses études sur les cannabinoïdes suggèrent un potentiel thérapeutique à affiner 65. Ils pourraient être utiles dans le traitement du cancer, des nausées, des vomissements, de la douleur, de l'épilepsie, de l'inappétence et des maladies inflammatoires de l'intestin.

Un certain nombre d'analogues synthétiques ont été développés dans le but d'obtenir une activité antalgique puissante tout en évitant l'activité psychotrope de la marijuana. Ces produits offrent une uniformité biochimique et un soulagement des symptômes 65. Cependant, il est fort probable que la synergie entre les divers composants de la plante de marijuana est à l'origine des effets uniques de cette formulation.

Le THC (Delta-9-trans-tetrahydro-cannabinol) est le composant chimique psychoactif qui caractérise les aspects « récréatifs » de la marijuana. Différentes parties de la plante de cannabis donnent entre 5 et 20 % de THC. La concentration la plus élevée est en grande partie liée aux « poils » de la plantes (trichomes) et à la fleur femelle. Traditionnellement, les variétés de marijuana issues de plantes de Cannabis sativa ont jusqu'à 10 % de THC.

Le cannabidiol (CBD) est généralement fabriqué à partir de la plante Cannabis sativa L qui contient des centaines d'autres composés actifs différents. Parmi ceux-ci, plus de cent sont des cannabinoïdes qui, selon le composé, ont des effets psychoactifs ou non psychoactifs. Le CBD est un cannabinoïde lipidique non psychoactif. Il est utilisé en médecine humaine pour atténuer l'anxiété, améliorer l'appétit, soulager les nausées, contrôler les crises de certains types et aider à la gestion des troubles du sommeil 65.

Au moment de la rédaction de cet article, il n'y a pas de cannabis autorisé ou de médicaments dérivés du cannabis avec AMM vendu sur le marché vétérinaire dans l'Union européenne, aux États-Unis ou au Canada. En revanche, un produit à base de CBD, Vit B3 et B6 existe sur le marché européen.

Ce n'est pas l'objet de cet article de discuter des aspects légaux ou illégaux de l'utilisation « off label » de ces produits, surtout que l'évolution législative est constante. 

Les preuves scientifiques disponibles de l'utilisation « vétérinaire » sont actuellement limitées et axées sur les animaux de compagnie et sur les chevaux. Les éventuels domaines d'intérêt thérapeutique pourraient comprendre l'utilisation pour la douleur arthrosique, oncologique, neuropathique, les troubles immunitaires et inflammatoires, les affections cardio-vasculaires et respiratoires et l'épilepsie. Jusqu'à quel niveau d'efficacité ? personne ne le sait et il est impératif de le définir par le biais d'études scientifiques et non pas sur un éventuel effet « mode ». Aujourd'hui, les cannabinoïdes sont principalement utilisés dans le traitement de la douleur, en particulier la douleur de l'arthrose, mais sans le support de médecine factuelle. 

Il ne faut pas oublier que chez les animaux, il y a beaucoup moins d'informations sur les effets des cannabinoïdes, à part les études de toxicologie. Nous avons encore besoin de nombreuses études pour mieux comprendre les effets des divers cannabinoïdes et leur marge et utilisation thérapeutiques. Il est intéressant de noter qu'il existe des différences concernant les récepteurs CB1 et CB2 et le métabolisme des cannabinoïdes chez les chiens par rapport aux humains.

Les antihyperalgésiques 

Ces antalgiques traitent les douleurs nociplastiques.

Les antagonistes des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA)

La contribution des récepteurs NMDA dans le développement des douleurs nociplastiques fut reconnue déjà dans les années 80. Depuis, d'innombrables études ont permis d'affiner nos connaissances et de développer de nouveaux plans stratégiques pour le contrôle de la douleur et inhiber le « wind-up » 66,67. Aujourd'hui nous disposons de deux produits qui interfèrent de façon significative avec l'activité des récepteurs NMDA : 
- la kétamine [bolus de 0,5 mg/kg IV puis CRI (Constant Rate Perfusion) clomipramine 0,5 mg/kg/h ; antihyperalgésie et douleurs chroniques : 0,25 mg/kg/h ; antihyperalgésie et hyperalgésie induite par les opioïdes: 0,15 mg/kg/h] et 
- l'amantadine (dose chien : 3-5 mg/kg SID VO, dose chat : 3 mg/kg SID VO). 

- La kétamine

En médecine humaine, la kétamine à bas dosage et en perfusion continue, est utilisée depuis longtemps pour le contrôle de l'hyperalgésie et des syndromes douloureux de type neuropathique 68. En médecine vétérinaire, ce type d'utilisation en clientèle est plutôt récent. Aujourd'hui, nous pouvons compter sur plusieurs publications scientifiques en support de l'utilisation de la kétamine, soit en perfusion continue pendant la période peropératoire, soit (toujours en perfusion continue) pendant la phase postopératoire ou soit en thérapie antalgique « pure » 69-72. Une perfusion continue de 0,6 mg/kg/h a montré un effet positif sur la réduction de la MAC (Concentration Alvéolaire Minimale) peropératoire chez les chiens et le chat 73,74. Bien que peu d'études se soient intéressées à l'aspect antalgique de la kétamine, nous avons tous les éléments pour valoriser l'utilisation en perfusion continue de la kétamine pour les syndromes douloureux à hyperactivité NMDA. Aujourd'hui, nous pouvons résumer en disant qu'il n'y pas de contre-indication majeure à l'utilisation de la kétamine en perfusion continue pour le contrôle de la douleur, peu importe la phase douloureuse. En revanche, le bénéfice maximal peut être observé sur les douleurs à forte implication nociplastique. 

Le problème de l'administration de la kétamine (par voie injectable) peut représenter une impasse majeure dans les soins antalgiques domiciliaires. La seule façon de pouvoir poursuivre la thérapie « kétamine » à domicile (en attendant le développement des formulations à absorption nasale) serait d'équiper l'animal avec une pompe élastomérique portative, mais hélas, ce type de dispositif médical n'est pas toujours facile à mettre en place.

- L'amantadine

L'alternative à la kétamine, dans l'antagonisation des récepteurs NMDA, est représentée par l'amantadine.

L'amantadine est un antiviral originairement créé pour le traitement de la grippe A et pour réduire les symptômes de la maladie de Parkinson. Pendant les années 90 (année de redécouverte des récepteurs NMDA et de leur implication dans la douleur nociplastique), les effets anti-NMDA de l'amantadine ont été valorisés et étudiés 75. En effet, l'amantadine, à la différence de la kétamine, bloque les récepteurs NMDA par stabilisation de canaux en position fermé. Cette caractéristique lui confère un profil d'innocuité qui rend son utilisation extrêmement séduisante et prometteuse. Malheureusement, nous manquons encore d'études à large échelle pour délimiter le périmètre d'action de l'amantadine dans le contrôle de la douleur. Mais son usage clinique de plus en plus important et, surtout, les effets indésirables très rares confèrent à l'amantadine une place dans le contrôle de la douleur nociplastique « à domicile ». D'ailleurs, dans une étude du Dr Lascelles et al., l'utilisation conjointe d'amantadine et de méloxicam pour le contrôle de la douleur arthrosique chez les chiens a montré une nette amélioration du bien-être des patients traités (versus méloxicam) 76

Le seul « problème » de l'amantadine est lié à son conditionnement en capsules de 100mg, bien trop dosé pour traiter aisément les chiens de petite taille.

Les antiépileptiques (gabapentine, prégabaline)

La gabapentine est un antiépileptique utilisé en médecine humaine depuis plus de trente ans. Depuis, l'observation de ses effets anti-hyperalgésiques chez les malades atteints de douleur neuropathique, elle a suscité de plus en plus d'intérêt. 

Les effets analgésiques de la gabapentine et de la prégabaline seraient liés à leur action de blocage de certains canaux calciques présynaptiques, au niveau des sous-unités <2-ô1. Ces récepteurs sont stimulés et activés dans la corne dorsale de la moelle épinière, lors d'une stimulation nociceptive. 

La gabapentine est, depuis une quinzaine d'années, rentrée dans l'arsenal thérapeutique humain et vétérinaire de contrôle de la douleur neuropathique et autres. Il s'avère que son usage devient de plus en plus large et qu'on lui découvre des vertus jusqu'auparavant inconnues (sédation et contrôle de l'activité de chats difficiles 77. Son utilisation élargie compte désormais le traitement de la douleur neuropathique, arthrosique, oncologique et le contrôle de patients hyperactifs. 

Malgré le manque de publications scientifiques de rigueur, la diffusion de son utilisation clinique sans rapport d'effets secondaires néfastes à la dose de 5 à 10 mg/kg TID VO chez le chien et 5 mg/kg BID VO chez le chat rassure et conforte dans son utilisation. 

Chez le chien, la gabapentine subit une méthylation hépatique (en N-méthyl-gabapentine) qui nécessite une administration toutes les huit heures. Son index thérapeutique reste tout même très confortable et large, ce qui permet une utilisation presque dépourvue d'inquiétude, sauf pour un plan qui prévoit une phase de sevrage en fin de traitement (pour éviter des ruptures analgésiques ou de « manque »). La prégabaline pourrait être utilisée avec les mêmes finalités thérapeutiques, malgré le manque de littérature scientifique vétérinaire en regard de sa réelle efficacité. La formulation de la prégabaline en sirop la rend tout même très séduisante pour une administration vétérinaire envers des patients récalcitrants comme les chats.

Les modulateurs des contrôles descendants inhibiteurs 

Ces antalgiques traitent les douleurs neuropathiques et sont des probables pistes thérapeutiques pour nos animaux.

Les antidépresseurs tricycliques (AD3C) et inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) 

Les antidépresseurs tricycliques, sont des médicaments qui peuvent être efficaces dans le contrôle de la douleur neuropathique. Malheureusement, leurs effets indésirables marqués en limitent l'usage régulier. 

Leurs effets antalgiques sur la douleur neuropathique se manifestent plus rapidement que leurs effets antidépresseurs, suggérant différents modes d'action. La raison exacte (et le mécanisme) de leur efficacité dans le contrôle de la douleur neuropathique restent toutefois encore à préciser. Néanmoins, les études indiquent que la noradrénaline joue un rôle fondamental dans l'inhibition de la douleur neuropathique 78-80. L'augmentation de sa concentration dans la moelle épinière (par inhibition de sa recapture à la terminaison spinale des voies de contrôle descendantes bulbo-spinales) inhibe directement la douleur neuropathique en agissant sur les récepteurs alpha2-adrénergiques (une autre raison pour « dire » que les alpha2-agonistes utilisés en médecine vétérinaire ont un rôle à jouer dans le contrôle de la douleur neuropathique et non pas que « somatique »). 

Par ailleurs, l'augmentation de la noradrénaline se manifesterait aussi sur le locus coeruleus et améliorerait la fonction du système inhibiteur noradrénergique descendant (altéré en cas de douleur neuropathique). 

La sérotonine et la dopamine peuvent renforcer les effets noradrénergiques pour inhiber la douleur neuropathique. La concentration de noradrénaline dans la corne dorsale de la moelle épinière est augmentée par une seule injection d'antidépresseurs tels que l'amitriptyline (AD3C) et la duloxétine 78-80. Cette augmentation a résulté en une diminution de la douleur neuropathique, diminution antagonisée par un alpha2-antagoniste (atipamézole). Un résultat négatif avec un antidépresseur ne signifie pas une inutilité thérapeutique de tous les antidépresseurs. Leur mécanisme d'action est complexe et non équivalent entre eux.

Aujourd'hui, les recommandations en médecine humaine préconisent l'usage en première ligne des AD3C ou des IRSN (et non des ISRS - Inhibiteurs de la Recapture de la Sérotonine et de la Noradrénaline) dans les stratégies thérapeutiques de lutte contre les douleurs neuropathiques 81.

Les Modulateurs de la transmission et de la sensibilisation périphérique

Ces antalgiques traitent les douleurs périphériques.

Les anesthésiques locaux

La lidocaïne, majeur représentant de cette catégorie, bloque les canaux sodiques inhibant ainsi la dépolarisation et stabilisant les membranes cellulaires. Historiquement, elle a été largement utilisée par voie locale (pour obtenir une perte de sensibilité locale) sous toutes formes galéniques : pommade, emplâtre, spray, etc. Cependant, il serait trop réducteur de limiter son usage à cette voie d'administration. 

L'utilisation par voie systématique permet un contrôle de la douleur, même si ses mécanismes d'action dans cet usage n'ont pas encore été complètement élucidés. La preuve clinique (en médecine humaine mais aujourd'hui aussi en vétérinaire) supporte son usage par voie systémique comme co-adjuvant dans le contrôle de la douleur, surtout viscérale 82-84

Plusieurs études de pharmacocinétique et de sécurité ont montré que l'on peut prescrire ce type de traitement conjointement à d'autres et pour une période limitée au traitement d'attaque des douleurs « résistantes » et peropératoires 84-86.

La douleur neuropathique, résultante d'une lésion du système nerveux périphérique ou central est, pour partie, due à la sur-expression (aberrante) des canaux de sodium avec comme conséquence une hyperexcitabilité neuronale (logique du moment que les canaux sodiques produisent la dépolarisation des membranes). La lidocaïne bloque ces canaux et plusieurs études ont montré que la perfusion intraveineuse de lidocaïne fournit un soulagement significatif chez les patients ayant une douleur neuropathique périphérique chronique à court terme (jusqu'à six heures) mais pas sur du long terme 87,88. Il en découle que, en phase d'hospitalisation, il est absolument logique d'induire une meilleure prise en charge analgésique avec une perfusion de lidocaïne à 50µg/kg/min pendant plusieurs heures. 

Il est évident que ce type de traitement ne peut pas être donné aux chats à cause de leurs biens connues particularités enzymatiques qui les rendent sensibles et déficitaires à la métabolisation de certains médicaments, comme la lidocaïne 89,90

Antalgiques à effets mixtes 

Ces antalgiques sont des analgésiques anti-nociceptifs, modulateurs des contrôles inhibiteurs ou excitateurs descendants et traitent les douleurs nociceptives, neuropathiques ou mixtes.

Le tramadol

Le tramadol est un analogue synthétique de la codéine avec une faible affinité pour les récepteurs µ. Il inhibe aussi la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline. Pour ces raisons il a été, à plusieurs reprises, imaginé qu'il puisse avoir des vertus antalgiques envers les douleurs noradrénaline dépendantes (comme la douleur neuropathique). 

En médecine humaine, il est effectivement suggéré comme antalgique pour divers types de douleur nociceptive (palier 2) comme les douleurs ostéo-arthrosiques, chroniques, aiguës, etc.) mais également pour les douleurs neuropathiques. 

En médecine vétérinaire, comme en médecine humaine, son efficacité dépend de sa métabolisation car seul son métabolite actif à une action antalgique. Cette métabolisation est dépendante de la génétique animale et (comme en médecine humaine) le polymorphisme génétique des cytochromes impliqués dans cette métabolisation fait que tous les animaux ne sont pas égaux. Cela se traduit par une meilleure métabolisation chez le chat par rapport au chien 91,92

Ainsi, son efficacité antalgique reste variable (comme en médecine humaine). Certainement le tramadol, à la dose de 3-5 mg/kg PO BID TID VO chez le chien et 1-2 mg/kg PO BID VO chez le chat, peut être très utile comme antalgique de secours en cas de crise douloureuse, mais il reste d'intérêt plus modéré dans le cadre d'une thérapie sur du long terme en cas de douleurs persistantes (comme la douleur neuropathique). Les problèmes d'accoutumance connus en médecine humaine n'ont jamais trouvé de suivi en médecine vétérinaire, ce qui rend l'usage de cette molécule relativement sûr pour la plupart des utilisations.

MOYENS NON PHARMACOLOGIQUES

La gestion clinique des douleurs chroniques est multimodale, interdisciplinaire et individualisée. 

L'exemple étudié est celui des douleurs arthrosiques.

La prise en charge de ces douleurs nécessite une combinaison de traitements, médicamenteux ou chirurgicaux, afin de limiter la douleur et l'inflammation. Elle nécessite aussi et surtout des adaptations des habitudes de vie du patient (et des propriétaires) afin de limiter l'aggravation des dommages articulaires. Ces mesures d'hygiène de vie incluent une activité adaptée, la gestion du poids et les compléments nutritionnels a minima. De la rééducation et d'autres approches non pharmacologiques peuvent également être utilisées. Cette approche multimodale a révolutionné la prise en charge pluridisciplinaire des chiens arthrosiques.

Approche chirurgicale 

Certaines conditions arthrosiques sont mieux gérées par une intervention chirurgicale en complément d'une approche médicale. Toute intervention nécessite une prise en charge de la douleur dès la période péri-opératoire (incluant les nouvelles approches autour de l'analgésie) mais aussi pour une période post-opératoire qui peut durer de quelques semaines à quelques mois. 

Le traitement chirurgical est primordial lorsque la cause d'une boiterie articulaire est mécanique comme une instabilité ou une conformation anormale entraînant une surcharge mécanique pouvant aller jusqu'à une fragmentation (dysplasie du coude) ou une faiblesse ligamentaire entraînant une instabilité (rupture du ligament croisé). 

L'arthroscopie s'est avérée supérieure à la prise en charge médicale dans une méta-analyse sur des chiens atteints de dysplasie du coude 93. Elle permet un effet grossissant qui améliore l'observation des lésions mais aussi la précision du geste chirurgical, tout en étant moins invasive, limitant l'inflammation et la douleur post-opératoire (cf. photo 7).

La rupture du ligament croisé crânial est la cause la plus fréquente et la plus sous-diagnostiquée de boiterie du membre pelvien chez le chien. Une dégénérescence progressive du ligament reste la cause la plus commune. Son traitement est donc avant tout chirurgical, même lorsque l'instabilité ne semble pas excessive cliniquement et même chez les chiens de petit format dont la gêne est souvent plus difficile à observer. 

Pour ces maladies nécessitant un traitement chirurgical, un diagnostic précis doit être établi rapidement (incluant l'imagerie) pour ne pas retarder le traitement chirurgical adapté. Ces interventions sont d'autant plus efficaces qu'elles sont réalisées précocément dans le processus dégénératif. 

La chirurgie ne permet pas toujours de corriger complètement le dysfonctionnement mais elle permet alors de limiter la progression de l'arthrose. L'amélioration fonctionnelle favorise le développement d'une masse musculaire avec tous les effets bénéfiques secondaires.

Le cartilage étant le seul organe qui ne guérit pas, traiter la maladie avant que le cercle vicieux de l'arthrose ne soit instauré peut avoir un intérêt majeur. D'autant que l'arthrose est une maladie évolutive dont l'élément clinique essentiel est l'existence d'une douleur chronique. 

Les chirurgies dites « préventives » peuvent ainsi être adaptées. Lorsque l'on réagit tardivement, alors que la maladie initiale a progressé, l'arthrose est présente et peut devenir, à elle seule, une cause importante de douleur. Le traitement de la maladie initiale a alors moins d'intérêt. 

La chirurgie préventive est donc envisagée pour certains animaux qui semblent atteints ou sont atteints de maladies dont on sait qu'elles augmentent fortement le risque d'avoir une maladie clinique et une progression de l'arthrose. C'est le cas, par exemple, de la symphysiodèse juvénile pubienne qui diminue la laxité de l'articulation de la hanche pendant la croissance et prévient l'arthrose de l'articulation de la hanche pour les chiots diagnostiqués avec une forte probabilité de développer une dysplasie de la hanche 94

Comme pour toute chirurgie, le clinicien va devoir évaluer les avantages et les inconvénients d'une telle approche préventive. 

Les chirurgies ne sont jamais anodines, avec des risques de complications et un coût. Les avantages sont parfois considérables car une simple chirurgie peut parfois éviter une prothèse ou une vie inconfortable. 

A retenir : la base de ce choix est donc souvent dépendante de l'évaluation clinique et des examens complémentaires qui peuvent nous permettre de connaître le risque de développer une maladie clinique importante.

La chirurgie peut aussi être utile dans une approche palliative. Ceci est particulièrement vrai avec le recours aux prothèses (aujourd'hui principalement prothèse de hanche ou prothèse de genou qui ont des taux de succès supérieurs à 90 % avec retour à une activité normale) ou aux arthrodèses 95(cf. photos 8).

D'autres chirurgies palliatives ont des intérêts plus limités et sont réservées aux cas réfractaires à une approche non chirurgicale optimisée. Par exemple, la résection de la tête et du col fémoral peut aider certains cas ayant une atteinte sévère de la hanche avec des répercussions cliniques fortes qui ne progressent pas avec la prise en charge médicale et de rééducation adaptée. Ce sont alors des chirurgies de dernier recours au sens propre car, même chez le chat, il a déjà été montré l'absence de locomotion normale après une résection de la tête et du col fémoral 96

Certaines évolutions techniques permettent aujourd'hui de conseiller plus sereinement une prothèse de hanche. Les prothèses non cimentées présentent en effet de nombreux avantages. Les implants, composés d'alliage spécifique pour empêcher tout rejet, ont une surface très étudiée qui autorise une ostéointégration permettant une durabilité, une réduction du taux de complication mais aussi un traitement plus précoce pour les cas très sévèrement cliniques 97.

L'évolution touche aussi les chats et les petits chiens avec des implants plus adaptés, que ce soit pour les prothèses de hanche ou pour les arthrodèses. 

Ainsi, ces évolutions pour les chirurgies palliatives donnent de nouvelles solutions lorsque l'approche multimodale ne permet pas une solution durable.

Cependant, même lorsque la chirurgie est bénéfique, les autres aspects de la gestion de l'arthrose doivent être pris en compte. 

Une prise en charge multimodale de l'arthrose doit être entamée dès le diagnostic afin de faciliter la prise en charge de la douleur, le retour à l'activité et le gain de force musculaire. 

La physiothérapie postopératoire rigoureuse améliore les résultats et la fonction après les interventions chirurgicales orthopédiques. 

Plusieurs études ont montré la progression de l'arthrose malgré une amélioration clinique après la chirurgie (TPLO : Tibial Plateau Leveling Osteotomy - Nivellement du plateau tibial par ostéotomie - cf. photo 9). 

Par conséquent, la chirurgie reste l'une des composantes de la stratégie multimodale. 

Autres moyens non pharmacologiques

Les moyens non pharmacologiques regroupent la nutrition clinique, la médecine physique et réadaptative de la douleur ainsi que d'autres méthodes complémentaires comme l'ostéopathie, l'acupuncture, etc. Ces dernières méthodes complémentaires ne seront pas présentées ici.

Nutrition clinique

Le contrôle du poids avec restriction alimentaire (versus administration ad libitum) prévient le développement de signes radiographiques d'arthrose 98

La diminution de la surcharge pondérale diminue les douleurs articulaires associées à l'état inflammatoire chronique du sujet obèse. L'impact mécanique de l'obésité se double d'un effet délétère biochimique (métalloprotéases, cytokines pro-inflammatoires, etc.) induit par les adipokines sur le cartilage articulaire, l'os sous-chondral et la membrane synoviale 99.

La nutrigénomique régule à la baisse les aggrécanases et les métalloprotéases matricielles par désactivation des gènes responsables de leur synthèse. Ceci est rendu possible grâce à une action directe sur les ARN messagers.

Les progrès de la nutrition clinique permettent enfin d'adapter les régimes alimentaires aux multimorbidités particulièrement fréquentes chez le chat arthrosique et le chien senior.

Nutraceutiques et chondroprotecteurs

Les chondroprotecteurs sont des compléments alimentaires, sources concentrées de nutriments, susceptibles de protéger le cartilage articulaire sans pour autant être en droit de revendiquer des allégations thérapeutiques. 

Une revue systématique parue en 2012 100 a montré que sur 67 études, seulement 4 répondaient aux critères retenus par la médecine factuelle (Evidence Based Medicine) et montraient l'effet bénéfique des omégas 3 (EPA [acide eicosapentaénoïque] et DHA [acide docosahexaénoïque]) sur les signes cliniques d'arthrose. Depuis cette date, des preuves d'efficacité semblent concerner le collagène de type II non dénaturé pour améliorer les scores WOMAC (Western Ontario and McMaster University Osteoarthritis) de la gonarthrose chez l'homme 101 et les forces verticales d'appui chez le chien arthrosique 102.

Médecine physique et réadaptative de la douleur

- La médecine physique et réadaptative de la douleur utilise des moyens naturels (chaleur, froid, eau, mouvements, etc.), artificiels (électricité, rayonnement électromagnétique, etc.) et des techniques d'ergothérapie et d'adaptation de l'environnement. Ces moyens aident à la récupération de capacités fonctionnelles (retour à la mobilité) améliorant ainsi la qualité de vie.

- La cryothérapie permet à la fois de diminuer la réaction inflammatoire et les oedèmes et aussi de diminuer la douleur ressentie par l'animal.

- La thermothérapie, hors cadre inflammatoire, est utile pour la prise en charge des douleurs chroniques par son action vasodilatatrice et d'extensibilité des tissus (souplesse articulaire) 103.

- L'électrothérapie : le Transcutaneous electrical nerve stimulation, stimulation nerveuse électrique transcutanée conventionnel (C-TENS) associe une stimulation continue en haute fréquence (80 à 100 Hz), des largeurs d'onde de 50 à 200 µs et des basses intensités. Ce mode d'activation des fibres afférentes de gros calibre procure une analgésie localisée et de courte durée reposant sur l'effet du contrôle médullaire (gate control) qui conduit à l'inhibition de la transmission du message douloureux. Le mode de stimulation discontinue « burst », également dit « acupuncture like » (AL-TENS) ou « endorphinique », associe des basses fréquences (1 à 4 Hz), des largeurs d'onde comprises entre 100 et 400 µs et des hautes intensités. Ce mode d'activation des fibres afférentes de petit calibre procure une analgésie généralisée et durable, reposant sur le renforcement des contrôles inhibiteurs diffus nociceptifs (CIDN) issus de la sécrétion d'endorphines par le tronc cérébral 104.

- L'hydrothérapie (marche sur tapis aquatique) cumule des propriétés intéressantes pour la prise en charge des douleurs arthrosiques : flottabilité, pression hydrostatique, densité relative, viscosité et résistance de l'eau. L'hydrothérapie améliore l'amplitude du mouvement et augmente la longueur (et non la fréquence) de la foulée 105.

- La thérapie laser
Les ondes du proche infrarouge (thérapie laser) apportent des propriétés antalgiques, anti-inflammatoires et décontracturantes. D'après les études, elles diminuent les scores de boiterie de la grille d'Helsinki, de la grille CBPI et les besoins en AINS chez des chiens arthrosiques 106,107

-Les ondes de chocs ne devraient pas être utilisées pour la prise en charge des douleurs arthrosiques : il s'agit d'un non-sens physiopathologique puisque les percussions infligées dégradent davantage le cartilage (hyperhydratation) et favorisent l'ouverture des canaux transducteurs P2X3 mécano-sensibles, initiateurs du cheminement douloureux. Enfin, les ondes de choc s'accompagnent de douleurs procédurales (ou induites) préjudiciables à l'observance.

- La kinésithérapie
Les mouvements passifs ou en anglais passive range of motion (PROM) mobilisent les articulations par des techniques spécifiques d'assouplissement et d'étirement (flexions - extensions) afin de réduire l'ankylose.
Les mouvements actifs ou en anglais active range of motion (AROM) sollicitent l'animal arthrosique par des exercices « assis-debout », de franchissement de cavaletti (petits obstacles posés au sol) ou d'équilibre (coussins, planches, ballons, etc.), contribuant au renforcement musculaire et à l'amplitude des mouvements.

- Les exercices physiques à faible impact 
Promenades en laisse et marches sur terrain mou, sablonneux ou dans les herbes hautes, de courte durée, répétées sous le regard attentif et évaluateur du propriétaire permettent de muscler sans créer trop d'impact articulaire. Cela améliore le fonctionnement articulaire mais aussi musculaire, ce qui limitera également les chocs et traumatismes articulaires 108
D'autres exercices évitent d'augmenter les impacts articulaires comme le port de harnais pour soutenir les zones affaiblies, la natation avec ou sans harnais de flottabilité, la marche sur tapis roulant avec vitesse et inclinaison (en montée ou en descente) modulables, etc. 
Il est aussi préférable de limiter les impacts articulaires avec des jeux violents et des activités trop intenses.

- L'adaptation de l'environnement 
Les matelas à mémoire de forme améliorent le confort des surfaces de couchage, les tapis antidérapants permettent de limiter les défauts proprioceptifs et d'éviter les glissades (cf. photos 10 A, B, C). 
Ces approches sont utiles pour limiter la gêne articulaire et optimiser les périodes d'exercice. D'autres approches complémentaires sont parfois utiles comme la surélévation des gamelles, la mise en place de rampes d'accès ou encore l'utilisation de litières à bords évasés pour le chat arthrosique.

- L'ergothérapie et les orthèses

Les orthèses souples ou articulées visent à compenser et à assister la fonction articulaire déficiente en apportant un soutien de degré variable et une éventuelle chaleur (orthèses à base de fibres de céramique). Elles permettent aussi de limiter des impacts articulaires importants mais doivent cependant être utilisées par intermittence pour éviter de fragiliser les structures de support articulaire (tendon, ligament et muscles) par une sollicitation trop excessive.

BIOTHERAPIES

Par opposition à la synthèse chimique, les biothérapies sont fondées sur le vivant et recouvrent les thérapeutiques cellulaires (cellules souches, plaquettes), tissulaires (greffe), géniques (transfert de gènes ou intervention sur les gènes) et les biotechnologies produisant des anticorps monoclonaux (génie biologique).

Cellules souches mésenchymateuses (CSM)

Une cellule souche mésenchymateuse est une cellule indifférenciée, capable de s'autorenouveler, de proliférer en culture et de se différencier en cellules mésodermiques spécialisées : ostéoblastes, chondroblastes, adipocytes ou fibroblastes. 

Les CSM adultes sont prélevées à partir de tissus graisseux ; les CSM néonatales proviennent de placentas prélevés à l'issue de césariennes réalisées pour des motifs cliniques.

Les CSM, même autologues, ne persistent pas suffisamment longtemps dans les tissus après administration et ne se différencient pas en tissu cible ou alors à un degré bien trop faible pour rendre compte de l'effet thérapeutique observé 110.

Ainsi, à la chondrogenèse effectivement constatée in vitro, se substitue in vivo une activité paracrine complexe, ciblant le microenvironnement articulaire (cf. fig. 5) :
- effet anti-inflammatoire lié à la sécrétion de cytokines anti-inflammatoires (IL1Ra, IL10, TGF-Æ) qui ciblent préférentiellement la membrane synoviale ;
- effet anti-catabolique en diminuant la concentration des métalloprotéases (MMP) qui dégradent le cartilage ;
- effet immunomodulateur via l'expression de prostaglandines (PGE2), de facteur de croissance transformant (TGF-Æ1) et de facteurs immunosupresseurs (IDO) qui rétablissent l'équilibre cytokinique local et réduisent la production de cytokines pro-inflammatoires (TNF-<, IL1-Æ) ;

- effet trophique via la production de facteurs de croissance : Insuline Growth Factor 1 (IGF-1) impliqué dans la chondrogenèse, Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF) qui stimule l'angiogenèse et Keratinocyte Growth Factor (KGF) qui limite la fibrose 111.

Les cellules souches mésenchymateuses produisent un large panel de molécules telles que des cytokines, des chimiokines et des facteurs de croissance leur conférant des propriétés intéressantes dans l'homéostasie et la réparation tissulaire [IDO (indoleamine 2,3-dioxygénase), iNOs (oxyde nitrique synthase inductible), PGE2 (Prostaglandine E2), TSG-6 (protéine du gène 6 inductible par le facteur de nécrose tumorale), TIMP-1 et TIMP-2 (inhibiteurs de protéases 1 et 2), HGF (facteur de croissance des hépatocytes), Sfrp1 (protéine 1 apparentée aux frisottis sécrétée), TGF (facteur de croissance transformant), BMP (protéine osseuse morphogénétique), IL (interleukines), TNF (facteur de nécrose tumorale), ROS (espèces réactives à l'oxygène), MMP (métalloprotéases matricielles), ADAMTS (une désintégrine et métalloprotéase avec des répétitions de thrombospondine de type I)] 

D'autre part, les CSM ont la capacité de migrer jusqu'au site de la lésion ou au niveau d'un foyer inflammatoire et de stimuler localement la prolifération et la différenciation des cellules progénitrices grâce à leurs capacités chimiotactiques 113.

Les articulations sont traitées par injection intra-articulaire unique sous sédation ou anesthésie générale. Plusieurs études récentes ont suggéré l'innocuité et l'efficacité à long terme des CSM dans le traitement de l'arthrose canine 114,115

Concentré plaquettaire (PRP : Platelet-Rich Plasma)

L'injection de concentré plaquettaire autologue est un traitement alternatif à l'utilisation des cellules souches. Le principe de ce traitement est simple : il consiste à apporter des plaquettes dans une zone peu vascularisée ou très inflammée. Ces plaquettes, une fois activées, vont stimuler la réparation via la néovascularisation, la synthèse de collagène et l'activation de cellules réparatrices.

Utilisées pour les tendinopathies, les affections ligamentaires ou musculaires, les concentrés plaquettaires sont le plus fréquemment indiqués pour l'arthrose en médecine vétérinaire. 

Différents concentrés existent, ils consistent le plus souvent en un système de collecte de sang puis une filtration ou centrifugation particulière pour permettre de recueillir le concentré plaquettaire qui est alors injecté localement. 

Quelques études cliniques ou expérimentales ont pu montrer l'intérêt de ses injections, et une supériorité par rapport aux injections d'acide hyaluronique, notamment 116.

Les anticorps monoclonaux

L'utilisation de nouveaux outils génomiques ont permis d'identifier de nouvelles cibles thérapeutiques comme l'interleukine 31 pour l'atopie et comme le NGF (Nerve Growth Factor, facteur de croissance nerveuse) pour l'arthrose.

Les anticorps monoclonaux (cf. fig. 6) sont une nouvelle classe thérapeutique avec des caractères innés (spécificité, recyclage, innocuité, ...). Ce sont des molécules du système immunitaire hautement spécifiques qui peuvent être utilisées à des fins thérapeutiques pour cibler et neutraliser les molécules impliquées dans la maladie 4

Les anticorps monoclonaux sont des biomolécules qui présentent une extrême spécificité pour leur cible et capables de neutraliser ces cibles pour bloquer la progression d'une maladie ou de ses symptômes. Ils ont un mécanisme de recyclage leur permettant de persister plusieurs mois dans la circulation sanguine et les tissus après une injection, permettant ainsi moins d'administrations et une meilleure observance.

Les anticorps monoclonaux fonctionnent comme des anticorps naturels : ils sont éliminés par les voies normales de dégradation des protéines avec une implication minimale du foie ou des reins. Grâce à leur poids moléculaire élevé, ils évitent l'atteinte du système nerveux central. Ils sont conçus pour être spécifiques de l'espèce afin de limiter la réactivité immunitaire de l'hôte, empêchant ainsi la production d'anticorps anti-médicament.

Si nous nous intéressons à l'arthrose, la douleur arthrosique est un processus complexe médié par de nombreux facteurs (cf. fig. 7), comprenant les prostaglandines mais également le facteur de croissance nerveuse, une protéine de signalisation produite par les tissus endommagés. 

Le NGF (Nerve Growth Factor, facteur de croissance nerveuse) représente une découverte scientifique majeure. Il a un rôle clé dans le cercle vicieux de la douleur et de l'inflammation (cf. chapitre 2). Au cours de l'embryogénèse, le NGF contribue au développement du système nerveux sensoriel et sympathique et joue un rôle important dans le bon développement du système nerveux. Chez l'adulte, le rôle principal du NGF est pro-nociceptif : il produit des signaux qui sont interprétés comme douloureux. Le NGF est présent en quantité élevée dans le liquide synovial des articulations atteintes d'arthrose, ce qui n'est pas le cas pour les articulations saines. Le NGF, en tant qu'acteur clé de la douleur associée à l'arthrose, constitue donc une cible pour les médecines humaine et vétérinaire 4

Les anticorps monoclonaux anti-NGF se fixent au facteur de croissance nerveuse, limitant ainsi l'activation de ses récepteurs sur les neurones, les cellules immunitaires et autres cellules de l'articulation. En limitant l'activation de ces récepteurs, les sensibilisations centrale et périphérique (dont l'inflammation neurogène) sont réduites et la libération de médiateurs pro-inflammatoires et de NGF supplémentaires est diminuée 4.

Les anticorps monoclonaux anti-NGF sont donc efficaces pour réduire les signaux de douleur car ils empêchent le NGF de se lier aux récepteurs TrkA et donc de les activer. Ils permettent également de diminuer la quantité de NGF disponible dans l'articulation pour se lier aux cellules immunitaires. Les anticorps monoclonaux sont non narcotiques et non sédatifs et permettent de soulager durablement la douleur pendant environ un mois chez le chat et le chien d'après les études de preuve de concept 117- 119. Enfin, ces anticorps monoclonaux anti-NGF présentent un profil d'innocuité intéressant, permettant ainsi d'être une solution adaptée au traitement des chiens et des chats arthrosiques 120,121.

Ces anticorps monoclonaux anti-NGF sont le bedinvetmab pour le chien et le frunévetmab pour le chat. Le bedinvetmab s'administre à la dose de 0,5 à 1 mg/kg par injection sous-cutanée mensuelle alors que le frunévetmab s'administre à la dose de 1 à 2,8 mg/kg sous le même schéma thérapeutique. 

Les anticorps monoclonaux sont une nouvelle classe thérapeutique particulièrement adaptée au traitement long des maladies chroniques (cf.fig. 8).

Article paru dans La Dépêche Technique n° 189

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