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Que dit l'affichage des valeurs sur les valeurs de l'entreprise ?

« Ce qui compte, c'est les valeurs. » Seigneur Perceval, Kaamelott, Alexandre Astier

Frédy PEREZ

Le mot valeur fait partie de ce nuage de termes dont aime se gargariser le management. Le vocable est à la mode, on déclare « il faut avoir des valeurs ! ». Cela ne mange pas de pain de le dire, mais suffit-il de le déclarer pour en avoir ? Que signifie avoir des valeurs ? est-ce que cela a un sens ? Si tout le monde y croit, faut-il y croire ? N'est-ce pas trop beau pour être vrai dès lors que tout le monde déclare agir avec des (bonnes) valeurs ?

La référence à la valeur est communicationnelle

Incarne-t-on automatiquement les valeurs que nous prétendons avoir ? Souvent, les valeurs sont instrumentalisées à des fins de communication. Les collaborateurs eux-mêmes sont souvent surpris par les valeurs déclaratives qui émergent de leur propre entreprise. Cela signifie-t-il que ces valeurs déclarées n'émergent pas de la réelle culture d'entreprise ? Peuvent-elles être déconnectées de la réalité du vécu des individus qui forment une entreprise ? A quoi correspondent-elles : est-ce un souhait ou une réalité effective ? Lorsque les collaborateurs d'une entreprise ne se reconnaissent pas dans les valeurs proclamées, il leur est impossible de les incarner et cela peut s'avérer contre-productif. Tout ceci laisse à penser que, dans la plupart des cas, les valeurs, constitutives d'une image, ont un but exclusivement communicationnel et les mots-clés sensés dire ces valeurs sont vides de sens.

Valeurs de l'entreprise ou des individus

D'ailleurs ces valeurs traduisent-elles ce que sont les individus ou ce qu'est l'entreprise ? Questionné autrement : les valeurs des individus sont-elles solubles dans les valeurs de leur entreprise ? additionnables ? soustrayables ? synthétisables ? Le concept même de « personne morale » ayant des valeurs pose de toute façon question. Autant il est simple de porter les valeurs d'une personne, celles-ci émanant de ce qu'il est ou ce qu'il fait, autant la généralisation ou la synthèse des valeurs semble mécaniquement problématique. Les solutions méthodologiques pour faire face à ces biais posent également problème qu'il s'agisse de tout compiler ou de n'en choisir que quelques-unes. Les critères eux-mêmes de la sélection des valeurs à retenir ou à exclure s'avèrent problématiques. Une question demeure incontournable : «sur quels critères les valeurs sont-elles fondées ?».

Conformisme pseudo éthique

Si écrire les valeurs est tendance, c'est parce que la déclaration éthique est tendance. Notons ici que c'est la déclaration qui est valorisée et non nécessairement l'éthique pour elle-même (le bon, le mauvais). Lorsque nous regardons la liste des valeurs communiquées par les entreprises (car le but principal est presque toujours de les communiquer), nous observons que ces valeurs sont très « actuelles ». Elles répondent en effet à tout ce qu'il faut dire en ce moment pour « faire bien », pour être « bien vu ». Ces valeurs répondent à des impératifs dans l'air du temps : consensuels, conformes et communicationnels. Ce qui interroge ici c'est que bien sûr tout le monde a des valeurs, y compris la mafia qui fait valoir un code d'honneur. Nous pourrions avoir comme valeur « la loi du plus fort », certes ce n'est pas très tendance de le dire pourtant cela n'a jamais été autant vrai. Pourquoi alors cette valeur n'est-elle pas communiquée ? Faut-il en déduire qu'il n'est pas concevable de dire la vérité sur les véritables valeurs de l'entreprise.

La valeur des valeurs

Une autre question se pose alors : quelle est la valeur de la valeur ? Question Nietzschéenne par excellence 1 : Parce que les valeurs sont déclaratives, qu'elles ne sont pas nécessairement vécues comme telles « de l'intérieur », parce qu'elles sont instrumentalisées pour plaire. La question a tout son sens. Selon Nietzsche 2 il n'y aurait de valeur que dans la vie, par la vie et pour la vie pour autant qu'elle s'éprouve avec authenticité. Questionner nos valeurs ce n'est pas les fragiliser ou les remettre en cause, mais les soumettre à une exigence radicale pour les défendre en les exposant. Donc sans doute faut-il les communiquer mais dans une perspective d'échange, de débat ou de contradiction. Souvent, les débats contradictoires sur les valeurs sont vécus comme des critiques en l'encontre du pouvoir de l'entreprise. Pourtant, discuter de leur bien-fondé, observer leurs incohérences, s'enquérir d'une compréhension, critiquer sa non mise en oeuvre... c'est agir de manière authentique en faveur des valeurs dont on se réclame.

Valeur morale vs valeur économique

Qui peut juger des valeurs de l'entreprise ? Qui est qualifié pour le faire : l'entreprise peut-elle dire d'elle-même qu'elle a ou n'a pas telle ou telle valeur ? Et puis qu'est-ce qu'une vraie valeur ? une bonne valeur ? Entendu un vétérinaire parler d'une valeur efficace (!?). D'ailleurs le mot valeur exprime en premier lieu ce qui détermine un prix, une plus-value. L'or, par exemple, a un prix élevé mais, dans le désert, en aura moins qu'un verre d'eau. Tel qu'instrumentalisé aujourd'hui ce n'est pas un concept de valeur morale (le bien, le mal) mais de valeur économique. Lorsque toutes les entreprises pensent au même moment qu'il faut faire émerger des valeurs et que celles-ci sont identiques, c'est qu'il y a nécessairement un défaut de sincérité. Comme souvent, le chantier des valeurs n'est ouvert que par son utilité à construire des slogans. Pourtant, toute valeur dépend des circonstances, cela devrait simplement être une « valeur-valorisée », qui suppose une valorisation spécifique à un moment singulier, il ne pourrait s'agir d'une recherche frénétique et déconnectée de la réalité.

Il faut cependant reconnaître qu'à force d'entendre « il n'y a plus de valeurs ! », il est légitime de vouloir répondre à cette faiblesse ou cette absence en cherchant ce qui vaut réellement à moins de sombrer dans un nihilisme (rien n'a de valeur) refusant toute valeur au monde réel. De plus, le champ de l'axiologie 3 ne peut pas être abordé exclusivement par le prisme critique de la perte des valeurs, de la crise des valeurs ou de la perte de repères. Mais elle doit se fonder un tant soit peu sur l'exigence de son établissement : sur quoi sont-elles fondées avant même de se demander comment en rendre compte. À la question « qu'est-ce qui vaut ? » Kant 4 répond « la volonté bonne », ce qui nous ramène à une réponse possible : ce qui donne de la valeur, ce sont les « valeurs agissantes » donc réellement mises en oeuvre. Ces questions, décorrélées d'un but mercantilo-communicationnel, seraient autrement plus exigeantes et vertueuses.



Article paru dans La Dépêche Technique n° 186

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