Prévention des entérites néonatales : Etude terrain d'administration simultanée à des vaches gestantes des vaccins Bovigen® Scour et Imocolibov®
Samedi 18 Septembre 2021 Rurale 41704© Pierre Luet
Laurent Mascaron
L'auteur de cet article déclare n'avoir aucun lien d'intérêt avec l'étude traitée. Il déclare également avoir développé une activité de Consultant et de rédacteur scientifique auprès de l'industrie pharmaceutique et du diagnostic, des organismes de santé animale et de la presse vétérinaire.
Synthèse de la communication suivante à la Journée Technique du GTV Bourgogne Franche-Comté le 15 Octobre 2020 (présentation orale, voir recueil des conférences) : «Etude d'efficacité d'un protocole de vaccination des vaches gestantes associant Bovigen® Scour et Imocolibov® en 2 points d'injection.» de M. Lacreusette (1), J. Amiot (2), C. Lucas (3), C. Levesque (3), M. Béral (4), S. Geollot (1). (1) VIRBAC FRANCE Service Technique - (2) Clinique vétérinaire de Monestoy (EPINAC 71) - (3) LABOCEA (FOUGERES 35) - (4) Groupement Technique Vétérinaire de Bourgogne Franche-Comté
L'essai rapporté dans cet article a été soutenu par Virbac Santé Animale, Carros, France, une société ayant un intérêt financier dans le sujet abordé. Virbac produit un vaccin pour le contrôle des entérites néonatales du veau utilisé dans cet essai : Bovigen® scour. L'imocolibov® est lui, distribué par Boehringer Ingelheim.
La placentation chez les bovins est de type épithéliochorial : contrairement à l'espèce humaine (Elephant 2012), il n'y a aucun transfert avant la naissance de macromolécules de la mère au(x) veau(x) et en particulier d'anticorps susceptibles de le(s) protéger pendant les premières semaines de vie.
Né sans anticorps (à moins d'avoir été infecté in-utero par certains agents, notamment viraux), le veau n'acquiert une immunité spécifique contre les pathogènes endémiques de la ferme qu'après ingestion du colostrum. Le stock d'anticorps maternels ainsi transféré permettra au veau de bénéficier d'une certaine protection immunitaire, avant qu'il ne soit capable de développer lui-même une immunité active solide, au bout de trois à huit semaines d'âge.
Les veaux peuvent être infectés dès la naissance et les premières entérites néonatales (ENN) sont susceptibles d'apparaitre très tôt, dès les vingt-quatre premières heures de vie. L'agent pathogène souvent mis en évidence est alors Escherichia coli ; il est également fréquent de rencontrer des diarrhées néonatales liées à des infections par des rotavirus ou coronavirus, mais elles sont généralement plus tardives, à partir de trois à huit jours d'âge.
Un moyen fiable pour prévenir ces infections précoces est d'enrichir le colostrum en anticorps spécifiques jusqu'à atteindre des titres protecteurs. La colostrogenèse commençant en moyenne trois à six semaines avant le part, une vaccination anticipée de la mère vis-à-vis de ces agents est susceptible d'augmenter sensiblement le taux d'anticorps spécifiques dans le colostrum afin de protéger les veaux nouveau-nés par transfert passif d'immunité.
Dans certaines régions, Escherichia coli CS31A est régulièrement isolé chez le veau diarrhéique (Thiercy et al. 2015). Même si sa pathogénicité est parfois discutée, certains praticiens estiment qu'une immunisation vaccinale contre cette valence peut présenter un intérêt.
Deux vaccins sont disponibles sur le marché contenant la valence E. coli CS31A (Imocolibov ND et Trivacton 6 ND). Une vaccination en association avec une autre spécialité indiquée pour la prévention des ENN est parfois pratiquée sur le terrain. Afin de vérifier qu'il n'existe pas d'interaction négative en cas de vaccination simultanée, qui pourrait mener à des réactions d'intolérance ou à une diminution de la réponse à l'une et/ou à l'autre des deux spécialités, une étude d'innocuité et sérologique d'activité (mesure des taux d'anticorps spécifiques dirigés contre chacun des pathogènes cibles) a été menée par Virbac en partenariat avec le GTV Bourgogne Franche-Comté, en vaccinant simultanément avec Bovigen Scour ND et Imocolibov ND des vaches gestantes, en deux points d'administration séparés.
Matériels et méthodes
Animaux, vaccinations, complémentations, traitements
Au total 160 vaches gestantes ont été incluses dans l'étude, dans trois élevages bovins de race Charolaise, au sein d'une seule clientèle vétérinaire, à Epinac (Saône-et-Loire). Un des élevages, avec 170 vêlages annuels, vaccinait les saisons précédentes contre les ENN, alors que les deux autres (avec respectivement 65 et 70 vêlages annuels) ne pratiquaient pas cette vaccination.
Dans chaque élevage, les vaccinations suivantes ont été effectuées (administration d'une dose unique cinq semaines avant la date présumée du vêlage, à plus ou moins une semaine d'écart) :
- administration par voie intramusculaire d'un vaccin inactivé destiné à immuniser les vaches et génisses gestantes contre Escherichia coli F5, rotavirus et coronavirus (Bovigen® Scour : groupe BS) ;
- administration par voie sous-cutanée d'un vaccin inactivé destiné à immuniser les vaches et brebis gestantes contre les souches d'Escherichia coli porteuses des antigènes F5, CS31A et FY (Imocolibov® : groupe IMC) ;
- un groupe vacciné avec les deux vaccins précités (groupe BS + IMC) : administration simultanée en deux points d'injection distincts, de chaque côté de l'encolure.
Dans chaque élevage, et avant exclusion de certaines vaches, une vache gestante sur trois a été affectée successivement à chacun des trois groupes (BS, IMC, BS+IMC), selon l'ordre chronologique des dates présumées de vêlage.
Préalablement à ces vaccinations, les animaux ont reçu une complémentation orale de sélénium. Dans l'élevage comptant 170 vêlages, les vaches ont reçu 300 mg de sélénite en dix jours, un mois avant le début des vêlages, avec un entretien hebdomadaire (50 mg par semaine) pendant tout l'hivernage. Dans les deux autres élevages les mères ont reçu 500 mg de sélénite un mois avant le début des vêlages (sur dix jours), avec 50 mg de sélénite distribués tous les quinze jours en entretien par la suite.
Des coproscopies individuelles ont été réalisées avant inclusion afin de dépister une éventuelle infestation parasitaire et les vaches infestées ont été traitées : au total 59 bovins inclus ont reçu la spécialité Ivomec ND Pour on avant vaccination (20 dans le groupe BS+IMC, 21 dans le groupe BS et 18 dans le groupe IMC, sur l'ensemble des trois élevages).
Prise de sang, prélèvement de colostrum, observations et analyses
Une prise de sang a été réalisée sur chaque vache le jour de la vaccination afin de déterminer les concentrations en anticorps vis-à-vis des différentes valences vaccinales au début de l'étude. L'analyse sérologique semi-quantitative a été réalisée au LABOCEA 35 à l'aide des tests ELISA BioX Monoscreen Ab.
Pour chaque vache incluse, 10 ml de colostrum ont été prélevés dans les six heures suivant le vêlage et avant la première tétée du veau, dont 5 ml ont été congelés pour envoi ultérieur au laboratoire d'analyses (dosage regroupé en fin d'étude des anticorps vis-à-vis des différentes valences vaccinales à l'aide des tests ELISA BioX Monoscreen Ab). La qualité du colostrum a été évaluée par l'éleveur à l'aide d'un réfractomètre (modèle unique fourni par Virbac) par détermination du % Brix.
Du jour de la vaccination jusqu'au vêlage, les vaches ont été régulièrement observées ; les éventuels effets secondaires locaux et généraux ont été enregistrés et évalués à l'aide d'une grille de score clinique.
De même, les veaux ont été observés pendant vingt-et-un jours après la naissance et la survenue éventuelle d'une diarrhée a été enregistrée. La présence éventuelle dans les fèces des veaux diarrhéiques de germes pathogènes a été recherchée chaque fois que l'analyse a été possible et consignée en utilisant le code suivant :
0- absence,
1- présence (germe différent des valences contenues dans les vaccins),
2- présence de germes correspondant aux valences vaccinales (analyses réalisées au LABOCEA 35).
Résultats
Parmi les 160 vaches gestantes initialement recrutées dans l'étude, certaines ont dû être exclues, mais l'objectif final de 50 vaches au total par groupe vaccinal, tous élevages confondus, a été à peu près respecté (47 vaches dans le groupe BS et 48 dans les groupes IMC et BS + IMC).
Au total 143 prélèvements de sang et de colostrum ont été envoyés au laboratoire LABOCEA 35 pour dosage des anticorps. Les concentrations en anticorps vis-à-vis des quatre valences vaccinales étudiées ont été évaluées par la méthode semi-quantitative retenue (ELISA) (cf. tableau 1 : concentrations sériques et concentrations dans le colostrum, page suivante).
Une forte proportion des vaches gestantes incluses dans l'étude présentait avant vaccination une séropositivité vis-à-vis du rotavirus et du coronavirus (cf. tableau 1).
Dans le colostrum, d'après l'analyse statistique réalisée par le GTV Bourgogne Franche-Comté (test du X²), aucune différence significative n'a été observée entre les groupes BS et IMC versus BS+IMC.
Une analyse statistique de régression sur les données colostrales a néanmoins montré :
- une différence significative (p = 0,035) entre le groupe BS et le groupe BS+IMC vis-à-vis de l'antigène F5 avec des valeurs plus élevées dans le groupe ayant reçu simultanément les deux vaccins,
- un taux d'anticorps significativement plus élevé chez les vaches de l'élevage où une supplémentation avec du sélénium 300 mg en cure avant vêlage a été pratiquée (p = 0.021), par rapport aux vaches des deux autres élevages.
Douze vaches sur les 143 étudiées ont présenté une réaction locale au site d'injection, indépendamment du groupe vaccinal. Toutes ces réactions ont été observées dans les deux élevages qui ne pratiquaient pas la vaccination avant la mise en place de l'étude. Aucune vache n'a présenté d'hyperthermie ou d'anorexie suite à la vaccination.
Deux veaux du groupe IMC ont présenté une diarrhée aqueuse à l'âge d'une semaine. Ces veaux ont reçu un sachet de réhydratant. Aucune intervention de l'investigateur n'a été nécessaire. La diarrhée a disparu au bout de vingt-quatre heures (aucune analyse des fèces n'a été réalisée).
Discussion
L'analyse sérologique s'est révélée positive vis-à-vis du rotavirus et du coronavirus chez une grande proportion des vaches avant le début de l'étude, en accord avec la présence souvent endémique de ces virus dans les élevages.
Des taux sériques faibles de ces anticorps chez certaines vaches conduisent à une moindre concentration de ces anticorps dans le colostrum et en conséquence à une moindre protection de leurs veaux : ainsi, même en situation endémique, il est important de stimuler la réponse immunitaire anamnestique par la vaccination dans les élevages à risque.
Dans le colostrum, les concentrations en anticorps spécifiques des valences vaccinales obtenues après vaccination ne sont pas apparues significativement différentes chez les vaches ayant reçu simultanément les deux vaccins, par rapport aux vaches ayant reçu l'un ou l'autre des deux vaccins.
Des réactions locales au point d'injection, de faible fréquence, ont été observées, exclusivement dans les élevages qui ne pratiquaient pas la vaccination auparavant. Il est possible que ces exploitations aient manqué d'expérience dans la conduite des opérations de vaccination ou que les éleveurs aient été plus sensibles à l'apparition de telles réactions, d'où un taux de notification plus élevé. Le pourcentage de réactions n'a pas été significativement différent selon le groupe vaccinal et s'est révélé en accord avec celui décrit dans les RCP des deux spécialités concernées.
Conclusion
Cette étude a permis de documenter en conditions terrain l'innocuité et la compatibilité d'une administration simultanée en des points d'injection distincts des vaccins Bovigen® Scour et Imocolibov® à des vaches gestantes, en prévention des entérites néonatales. Globalement, les taux d'anticorps spécifiques obtenus vis-à-vis des valences vaccinales dans le colostrum des vaches vaccinées n'ont pas différé significativement entre les vaches ayant reçu simultanément les deux spécialités, par rapport à celles ayant reçu l'un ou l'autre des deux vaccins.