Mammites : de nouveaux outils d'analyse bactériologique pour une antibiothérapie raisonnée
Mercredi 15 Fevrier 2023 Animaux de rente 46538« Les élevages bovins laitiers sont plutôt de bons élèves concernant l'utilisation des antibiotiques », a témoigné notre confrère Guillaume Lequeux (Labocea).
© Laurent Mascaron
Laurent MASCARON
Correspondant en infectiologie et vaccinologie
Courriel : l.mascaron@orange.fr
Diagnostic
Vetoquinol a présenté, le 16 novembre, à Paris, au siège du Cniel*, son nouvel outil d'analyse bactériologique automatisée du lait lors de mammites, Mastatest ND, disponible depuis le début d'année en France. La nécessité d'une antibiothérapie raisonnée chez les vaches laitières et les perspectives offertes par les techniques de mise en évidence rapide des pathogènes mammaires ont été exposées par les intervenants.
« Créé en 1933 à Lure par mon grand-père pharmacien qui mit au point ses premiers médicaments pour aider son père vétérinaire praticien, Vetoquinol a ouvert sa première filiale à l'international en 1977 et commercialise depuis 2014 ses produits sur les cinq continents. Il est aujourd'hui au 8 e rang mondial des laboratoires pharmaceutiques en santé animale » , a rappelé son président Matthieu Frechin lors de la conférence organisée par Vetoquinol sur la qualité du lait, le 16 novembre, à Paris.
Ses efforts de recherche et développement sont concentrés dans trois espèces prioritaires (chiens, chats, bovins) et différentes alliances ont été liées ces dernières années pour proposer des solutions innovantes, comme en 2018 avec la start up nord-irlandaise FarmVet System pour VetImpress (application digitale de partage des données vétérinaires et zootechniques en élevage bovin) et en 2023 avec une société néo-zélandaise pour mettre à disposition du marché français un nouveau système d'analyse bactériologique automatisée du lait lors de mammite clinique (Mastatest ND) dès janvier.
La filière lait face aux attentes sociétales
Ce nouvel outil d'identification sous 24 heures des bactéries présentes dans le lait et de calcul des CMI** vis-à-vis de trois antibiotiques classiquement utilisés lors de mammite des vaches laitières a pour objectif de « satisfaire des besoins actuellement non satisfaits de la filière relatifs au bon usage des antibiotiques et à la lutte contre l'antibiorésistance » selon le laboratoire.
Caroline Le Poultier, directrice générale du Cniel, qui regroupe les différentes organisations professionnelles de la filière lait, a réaffirmé leur « engagement en faveur du bien-être animal, dont la santé fait intégralement partie, en phase avec l'intérêt actuel des consommateurs et des citoyens. La réduction de la fréquence des mammites et de l'usage des antibiotiques, parallèlement à la diminution constatée en France sur la période 2000-2020 des comptages cellulaires sur lait de tank, fait partie de nos objectifs, qui ont été matérialisés sous forme d'un plan stratégique remis par France Terre de lait au président de la République », a-t-elle déclaré.
Pascal Lebrun, producteur laitier dans le Calvados, président de la Coopération laitière et de la branche lait d'Agrial, a rappelé qu'« il y a 20 ans, l'usage des antibiotiques était beaucoup plus large en raison de leur efficacité, la priorité des éleveurs étant de maintenir les animaux en bonne santé ».
Garder la confiance des consommateurs
Un accent particulier a été mis dans cet intervalle sur les mesures de prévention afin de diminuer cet usage (« vaccination, conduite sanitaire du troupeau, génétique, homéopathie et aromathérapie »), des accidents inhibiteurs dans le lait pouvant également survenir (par exemple en raison d'une mauvaise identification des vaches traitées), à l'origine de pertes économiques.
« Garder la confiance du consommateur en nos produits est une priorité de la filière lait en France et à l'étranger où 40 % sont exportés. Une chute importante de l'usage des antibiotiques s'est déjà opérée suite à la prise de conscience des professionnels », a conclu Pascal Lebrun.
Impact du nouveau règlement européen sur le médicament vétérinaire
« Le nouveau règlement européen 2019/6 sur le médicament vétérinaire, applicable depuis janvier 2022, dont l'article 107 concerne les antimicrobiens, s'ajoute aux mesures en vigueur dans les Etats membres. Il limite la durée de validité de l'ordonnance à 5 jours pour les antibiotiques et prohibe quasiment l'antibioprévention à titre collectif », a déclaré notre confrère Eric Vandaele, journaliste et consultant spécialisé dans le médicament vétérinaire.
« Le renouvellement de l'ordonnance pour les antibiotiques reste interdit. Celle-ci devra désormais porter le nom des principes actifs et toutes les mises en garde, y compris sur les risques en cas d'utilisation imprudente des antimicrobiens », a-t-il précisé. Le nouveau règlement définit de manière restrictive la métaphylaxie, si elle est nécessaire, comme un traitement collectif seulement après qu'un diagnostic d'une maladie clinique a été établi dans un groupe afin de soigner les animaux cliniquement atteints et d'enrayer la propagation de la maladie aux animaux en contact.
Calendrier de suivi des usages des antimicrobiens
Depuis 2019, les antibiotiques sont catégorisés internationalement en quatre niveaux (A, B, C, D). Les molécules classées dans les trois derniers sont utilisables en médecine vétérinaire en traitement de première (D) ou seconde intention (C), les principes actifs de niveau B ayant une utilisation restreinte (quinolones, céphalosporines de 3e et 4e générations, colistine). Ceux de la catégorie A ne sont pas autorisés en médecine vétérinaire dans l'Union européenne (UE).
Un calendrier de suivi des usages des antimicrobiens au niveau des élevages est planifié par le nouveau règlement pour les animaux de compagnie et de rente, avec une mise en place pour les bovins prévue en 2024. Le projet Calypso est actuellement mené par l'Ordre des vétérinaires pour organiser ce suivi, déjà effectif dans plusieurs États de l'UE.
Les niveaux d'antibiorésistance chez les bactéries responsables de mammites
« Les élevages bovins laitiers sont plutôt de bons élèves concernant l'utilisation des antibiotiques, avec le plus faible nombre de traitements par animal et par an, d'après le suivi des ventes de médicaments vétérinaires réalisé en France. L'antibiosensibilité des pathogènes mammaires est peu évolutive», a témoigné notre confrère Guillaume Lequeux, chef du service Anatomie pathologique et microbiologie vétérinaire à Labocea (35306 Fougères). « Les résultats des réseaux de surveillance montrent qu'à l'exception de 20 % des souches de Staphylococcus aureus présentant une résistance à la pénicilline G, la proportion d'isolats résistants parmi les principaux pathogènes mammaires reste inférieure à 5 % vis-à-vis de l'ensemble des familles d'antibiotiques ».
Le taux de résistance constaté vis-à-vis d'au moins un antibiotique pour les trois pathogènes majeurs isolés lors de mammite (Streptococcus uberis, E. coli, staphylocoques coagulase positifs : 40 à 50 %) nécessite cependant d'être pris en compte. Pour Streptococcus uberis, le taux de résistance reste faible mais en augmentation linéaire depuis 2012 pour toutes les familles d'antibiotiques.
Une attention particulière est requise pour ce pathogène vis-à-vis de la pénicilline avec une diminution de sensibilité, sans résistance néanmoins, concernant 30 % des souches isolées de mammites cliniques chez les vaches laitières, d'après une étude européenne.
« La bactériologie du lait présente l'intérêt de pouvoir identifier les pathogènes mammaires et les animaux infectés pour adapter au mieux la prescription lors de mammite et pour valider le modèle épidémiologique tout en limitant l'usage des antibiotiques», a-t-il conclu.
Forces et faiblesses des outils de bactériologie du lait
Une revue des techniques de bactériologie du lait actuellement disponibles a été exposée par notre confrère Dominique Bergonier, enseignant-chercheur à l'école vétérinaire de Toulouse et membre de l'UMR Inrae-ENVT Interactions hôtes-agents pathogènes. « Leur intérêt est de contribuer à orienter le traitement, pour optimiser son efficacité et son rapport coût/bénéfice, tout en contrôlant le risque d'apparition d'antibiorésistance grâce à un usage ciblé des antibiotiques. De plus, la bactériologie du lait permet de confirmer le modèle épidémiologique dominant lors de mammites à l'échelle du troupeau », a-t-il rappelé.
La bactériologie médicale présente néanmoins certaines limites, dont un manque fréquent de sensibilité, en particulier pour les mammites subcliniques. En effet dans ce cas, l'excrétion bactérienne peut être fluctuante et non synchrone avec les comptages cellulaires du lait.
Certaines bactéries sont parfois localisées dans des cellules (phagocytes) et/ou des abcès (S. aureus...). Elles sont donc présentes mais difficiles à mettre en évidence. Le risque de « faux positifs » existe également en raison d'une contamination possible des prélèvements (5 à 15 % des échantillons de lait).
En pratique courante, le recours à la bactériologie du lait paraît nécessaire dans les cas suivants, selon Dominique Bergonier :
- mammites sévères d'évolution suraiguë (mammites de grade 3) ;
- échecs thérapeutiques ou récidives (en particulier sur les mammites de grade 2 : symptômes locaux) ;
- à l'échelon du troupeau, sur motif d'appel de type « cellules » : mammites subcliniques ou de grade 1 (grumeaux) d'allure chronique, voire contagieuse.
Il existe différentes techniques, plus ou moins rapides, de mise en évidence d'une infection bactérienne lors de mammite (tableau).
Maîtriser les coûts
Le délai de rendu des résultats doit être court et les coûts doivent être maîtrisés, ce qui est plus facile à atteindre en bactériologie simplifiée avec culture au cabinet vétérinaire qu'au laboratoire avec la méthode de référence même si l'identification des pathogènes n'est pas toujours aussi fiable.
La bactériologie au cabinet présente l'avantage d'être rapide et suffisamment précise, en particulier pour les staphylocoques et E. coli , pour lesquels des milieux sélectifs univoques sont disponibles.
Il est également à noter que, contrairement à la PCR en temps réel, extrêmement sensible (« multipositivité fréquente en PCR multiplex avec les kits actuels, souvent difficile à interpréter » selon Dominique Bergonier), seules les techniques de bactériologie avec culture permettent de réaliser un antibiogramme ou une détermination des CMI. ■
* Cniel : Centre national interprofessionnel de l'économie laitière.
** CMI : concentration minimale inhibitrice.
Mastatest : une innovation diagnostique en élevage au service du traitement ciblé
Olaf Bork, inventeur de l'outil de diagnostic Mastatest ND et créateur de la société qui le commercialise en Nouvelle-Zélande, a témoigné, le 16 novembre, à Paris, qu'il est « aujourd'hui utilisé dans plus de 1 000 fermes soit 10 % des exploitations laitières » de ce pays, un des tout premiers exportateurs de lait au monde. Mis sur le marché en France par Vetoquinol, il est indiqué « dans les cas de mammite clinique légère à modérée, seules les mammites sévères nécessitant un traitement immédiat » . Chaque prélèvement de lait à analyser est versé dans une cassette à usage unique qui comprend 24 puits puis celle-ci est fermée et introduite dans un analyseur connecté où sont réalisés une culture et des tests biochimiques avec un résultat colorimétrique. Résultats par courriel et sur Internet Les données sont envoyées de manière continue sous forme de photographies à un serveur qui les interprète et communique les informations suivantes au vétérinaire dans les 24 heures par courriel ou sur une plate-forme sur Internet : catégorisation d'une ou deux espèces bactériennes mises en évidence (à partir de trois, l'échantillon est considéré comme contaminé) et, pour chacune, valeur de la CMI (résultats de l'antibiogramme si besoin) pour la pénicilline G, la cloxacilline et la tylosine. Quatre échantillons de lait peuvent être analysés simultanément. Les analyseurs peuvent être installés au cabinet vétérinaire ou directement à la ferme, « 80 % des mammites cliniques étant habituellement autogérées par les éleveurs, sans appel à un vétérinaire praticien », a souligné Vetoquinol. La lecture automatisée des résultats ne nécessite pas de compétence particulière et facilite une prescription ciblée lors de mammite. « Lors d'une phase pilote, 40 analyseurs ont été déployés en France depuis l'été 2022 (dans une trentaine de clientèles vétérinaires) et plus de 700 analyses réalisées, avec de bons retours du terrain concernant la rapidité et la facilité d'utilisation du système, qui peut s'intégrer dans le service Qualité du lait de la clinique » , a conclu le laboratoire. L.M. | |||
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