Mal-être du chat et dermatoses : l'importance du diagnostic différentiel
Mercredi 30 Novembre 2022 Animaux de compagnie 45700Toute la question est de savoir si tous les chats peuvent s'adapter à un milieu confiné avec un accès aux aliments contrôlé par les humains...
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Aurore HAMELIN
Dermatologie/Comportement
Les dermatoses liées à des troubles du comportement chez le chat sont sous-diagnostiquées. Ces problèmes ne sont pas uniquement liés à un stress mais aussi à des frustrations de ne pouvoir exprimer un comportement inhérent à l'espèce féline. L'enjeu est de distinguer l'origine comportementale ou dermatologique de ces lésions cutanées. En cas de troubles comportemental, les lésions observées sont localisées dans des parties du corps définies.
Certains chats éprouvent du mal-être et l'expriment en se mutilant la peau. Tout le défi pour le praticien est de distinguer l'origine comportementale ou dermatologique de ces lésions cutanées.
Lors de son congrès annuel, à Paris-Porte de Versailles, le 10 juin dernier, France Vet a convié deux vétérinaires spécialisées pour aborder ce sujet : Noëlle Cochet-Faivre (maître de conférences, service dermatologie, école vétérinaire d'Alfort (ENVA)) et Emmanuelle Titeux (comportementaliste, service de médecine du comportement de l'ENVA).
« Les dermatoses liées à des troubles du comportement sont sous-diagnostiquées », indique Noëlle Coche-Faivre. « De nombreux chats amenés à la consultation de dermatologie auraient dû être admis à celle de comportement ! Ce nombre est estimé à 20 % des chats présentant une dermatose prurigineuse dans une consultation référée en milieu urbain. »
Surtout chez les jeunes chats
Cela concerne surtout des jeunes chats de 7 mois à 6 ans, sans prédisposition de sexe et presque exclusivement des animaux sans accès libre à l'extérieur. Leurs lésions évoluent par poussées et sont parfois cortico-sensibles lors des premiers épisodes.
Emmanuelle Titeux poursuit et assène une vérité bien connue des praticiens : « Le chat n'est pas un petit chien ». Ses besoins éthologiques sont bien différents. « S'il est devenu animal domestique aujourd'hui, il peut facilement retourner à l'état féral. En effet, les races de chats, sauf exception, ne sont sélectionnées par l'Homme que depuis une centaine d'années. »
Notre consoeur rappelle que cette domestication est corrélée à une adaptation aux humains et à un environnement de captivité.
« Les troubles du comportement félin proviennent majoritairement du non respect du bien-être du chat », souligne Emmanuelle Titeux. « Le chat est un prédateur qui mange entre 15 et 20 proies par jour. Le fait qu'il soit devenu « croquettivore » entraîne parfois quelques soucis chez certains individus. »
Son activité est plutôt nocturne ou crépusculaire. N'oublions pas que l'activité de l'espèce varie selon la saison. Il n'est donc pas étonnant de rencontrer une augmentation des troubles du comportement du chat au printemps et en été.
Alopécie nette et délimitée
Le chat évolue, de manière routinière, dans un domaine vital et non un territoire, dont la surface moyenne se situe entre 2 et 3 hectares par individu. Certains se contentent de 2 000 à 3 000 m2. L'animal est solitaire et non social bien que certains chats tolèrent d'autres congénères.
Son budget temps est surtout dédié au repos (50 %) puis aux déplacements (43 %) et au toilettage (4 % de l'activité quotidienne mais 8 % de l'activité diurne).
« Toute la question est de savoir si tous les chats peuvent s'adapter à un milieu confiné avec un accès aux aliments contrôlé par les humains... », ajoute Emmanuelle Titeux qui précise que « le terme de confiné est désormais plutôt employé pour l'humain ».« Il serait peut-être plus approprié de dire captif pour le chat mais tout le monde comprend aujourd'hui ce que cela signifie », conclut-elle.
Notre consoeur Noëlle Cochet-Faivre a présenté un rappel sur la sémiologie des lésions cutanées. Celles observées dans ces dermatoses d'origine comportementale sont localisées dans des parties du corps définies : lésions du cou et de la face provoquées par les postérieurs, lésions du corps ou des lèvres faites par la langue et lésions de la tête induites par le frottement répété des pattes (lire ci-après).
L'alopécie est toujours nette et très délimitée. « Une alopécie ventrale initiale sans érythème doit conduire le praticien à rechercher un trouble comportemental chez le chat », a insisté notre consoeur.
Se poser les bonnes questions
De même, un ulcère labial, présent sur un chat qui porte une collerette, avec une bordure bien délimitée et non inflammatoire est indicateur des mêmes causes.
Quand le motif de consultation est un prurit cervico-facial, le praticien sera encore plus attentif à l'examen des lésions : si la face latérale du cou est seule touchée (aspect dit chat guillotine), le diagnostic de trouble du comportement apparaît plus aisé.
« Il faut cependant détailler les lésions : sont-elles excoriatives (+/- linéaires) ? les joues, la face ventrale du cou, les tempes sont-elles touchées alors que le reste du corps est indemne ? », questionne Noëlle Cochet-Faivre.
Savoir si le chat est capable d'induire les lésions observées est une aide précieuse au diagnostic différentiel.
Grilles d'évaluation du bien-être
Le temps de la prise en charge de ces animaux « mal dans leur peau » est décrit par Emmanuelle Titeux.
« Il existe des grilles d'évaluation de bien-être avec un score maximum de 21 qui indique un mal-être complet », a précisé notre consoeur.
L'environnement du chat, son accès aux ressources, son budget temps, sa relation avec l'Homme ou ses congénères et son tempérament y sont évalués. La récolte d'informations exactes est toujours difficile (lire ci-après).
Par exemple, à la simple question « Votre chat a-t-il accès au balcon ? », la première réponse du propriétaire va généralement être « oui » mais, en précisant cet accès, le vétérinaire peut se trouver face à un maître qui contrôle l'ouverture de la porte du balcon et un chat qui n'y a vraiment accès que très peu de temps : « La porte est fermée la nuit, quand il fait froid, quand je quitte l'appartement... »
« La récolte d'information est lente et demande des vérifications par la pose d'autres questions périphériques à la première », détaille notre consoeur.
Pronostic maître-dépendant
Le pronostic est donc soumis à la compréhension et au bon vouloir du ou des maîtres. Il est réservé si le diagnostic n'est pas accepté ou si le changement d'environnement est totalement impossible, soit du fait d'un maître anxieux de laisser de la liberté à son chat, soit du fait d'un besoin de contrôle de celui-ci sur son animal.
Emmanuelle Titeux estime que les anxiolytiques, antidépresseurs tricycliques ou inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, ne sont pas les molécules de choix à prescrire en première intention. En effet, si elles améliorent temporairement la vie du chat, elles font chuter toutes ses activités. « La gabapentine me semble plus indiquée lors d'excoriations », a précisé Noëlle Cochet-Faivre.
« Le diagnostic de dermatose comportementale n'est en aucun cas un diagnostic d'exclusion (lire ci-après). Ces problèmes ne sont pas uniquement liés à un stress mais aussi à des frustrations de ne pouvoir exprimer un comportement inhérent à l'espèce féline », insiste la comportementaliste.
Il faut laisser du temps aux propriétaires pour digérer le diagnostic. Ils trouvent souvent eux-mêmes des solutions dont le vétérinaire ignore tout et pour cause, elles appartiennent souvent à leur vie privée : « Nous pourrions emmener le chat, le week-end, chez la cousine Félicie qui a un jardin ; partir en vacances dans la maison forestière de mon beau-frère ; l'appartement pourrait être réaménagé en deux parties isolées pour séparer nos deux chats... »
Le vétérinaire propose des pistes de réflexions : aménagements de l'habitat comme une chatière ou la pose de filets de protection sur les balcons, collier GPS pour rassurer les propriétaires qui pensent que leur chat va se perdre dehors, technique d'adaptation lors de voyage, changement alimentaire pour un aliment moins appétent et/ou moins calorique si le chat n'aime pas que l'on contrôle sa quantité de nourriture, gamelle d'activité, etc.
« Le véritable challenge du comportementaliste vétérinaire, ce sont les humains ! », a conclu la comportementaliste.■
Gros Plan : Les idées reçues en comportement félin
Notre consoeur comportementaliste Emmanuelle Titeux explique qu'un grand nombre d'idées reçues circulent toujours sur les chats et leurs besoins.
A la fin de sa conférence, au congrès FranceVet, le temps des questions a permis aux auditeurs d'en faire un tour.
- Le chat aime être seul dans son environnement. Faux. De nombreux chats entretiennent des relations avec leur maître ou des congénères. Un certain nombre développent des troubles du comportement en leur absence.
- Le chat aime son territoire. Faux. Il ne possède pas de territoire mais occupe un espace vital.
- Le chat passe son temps à dormir. Faux. Seule la moitié du budget temps est lié au repos.
- Le chat né en appartement n'a pas besoin de sortir à l'extérieur. Faux. Des études sur les animaux de zoo montrent que ceux nés en captivité développent plus de troubles de comportement que les animaux sauvages capturés pour être placés ensuite en zoo.
- S'il sort, après, il sera malheureux en appartement. Faux.« Quid des humains qui partent en vacances et sont très heureux de retrouver leur appartement ? », interpelle Emmanuelle Titeux. « Un chat qui part en week-end ou en vacances, avec des accès à l'extérieur, pourra alors mieux exprimer son comportement. S'il présentait des troubles comportementaux, il ne rechutera pas forcément au retour en appartement ».
Une idée juste : le chat doit vivre dans un lieu en adéquation avec ses attentes comportementales. A.H.
Gros Plan : Un diagnostic différentiel pas si compliqué
La dermatologue Noëlle Cochet-Faivre (service de dermatologie, école vétérinaire d'Alfort) a incité les auditeurs, en juin dernier, à la conférence France Vet « Dermatoses et mal-être chez le chat », à élargir leurs connaissances en matière de diagnostic différentiel des dermatoses félines.
Lors de dermatose liée au mal-être, l'anamnèse montre souvent un chat qui vit en contradiction avec ses besoins vitaux. Il faut demander où se situe le lieu d'apparition des premières lésions cutanées. L'accès à l'extérieur est-il possible ? Est-il contrôlé ? Le chat part-il en vacances, en week-end ou reste-t-il seul dans un appartement ? Comment se passe le mode de distribution de l'alimentation ? Quelles sont les interactions avec l'humain, les autres animaux ?
« Je demande toujours aux propriétaires comment ils considèrent leur chat », souligne l'intervenante qui ajoute : « Est-il calme, boulimique, nerveux ? »
L'examen clinique est primordial. Le chat est-il en bonne santé ? Quelle est la topographie des lésions ? Sont-elles d'apparition spontanée ou sont-elles apparues après grattage ?
Un chat qui a un trouble du comportement ne possède pas de lésions cutanées avant qu'il ne se les crée lui-même ! « Si vous examinez un ventre érythémateux avec des lésions squamo-croûteuses et des plaques éosinophiliques, vous pencherez plutôt vers une dermatose inflammatoire, pas vers un trouble comportemental sous-jacent », cite à titre d'exemple notre consoeur qui conseille de pratiquer des examens complémentaires si nécessaire.
Le diagnostic plus complexe en cas de dermatose mixte
Pour un chat souffrant d'un syndrome granulome éosinophilique, l'examen cytologique mettra en évidence des granulocytes éosinophiles, par exemple.
Chez le chat, un prurit peut provenir d'une inflammation, d'un trouble du comportement, d'une neuropathie, d'une maladie systémique ou être d'origine iatrogène.
Le diagnostic différentiel se complique lorsque le chat est affecté d'une dermatose mixte où un trouble cutané se rajoute à un trouble du comportement.
« Dans ce cas, il faut se rappeler que les dermatoses liées au mal-être sont associées à des lésions en zone de toilettage.Un chat qui a des puces se gratte sur l'ensemble du corps », précise Noëlle Cochet-Faivre. A.H.
Gros Plan :Le toilettage du chat : jusqu'à l'excès
« Le toilettage commence dès l'âge de 3 semaines chez les chatons », a indiqué Emmanuelle Titeux, vétérinaire chargée de la consultation de médecine des troubles du comportement à l'école vétérinaire d'Alfort.
« Son rôle est évidemment le soin du pelage mais aussi l'élimination des parasites et le dépôt d'odeurs », a-t-elle ajouté lors de sa conférence France Vet du 10 juin dernier faite en partenariat avec une consoeur dermatologue.
Comment le chat se toilette-t-il ? Tout dépend des zones du corps à nettoyer... La majorité du corps est explorée avec la langue, les dents mais aussi avec les griffes.
D'autres espèces concernées
Certaines zones sont toilettées par léchage (l'abdomen et les babines), par mordillement (corps, griffes et coussinets), par grattage (région cervicale, joues, tempes et base des oreilles) ou par léchage-frottement (pavillons auriculaires, paupières, museau).
« Les plaies observées lors de dermatoses d'origine comportementale sont dues à un toilettage excessif et répété », a indiqué la conférencière.
Le terme de stéréotypies est utilisé comme celui de Toc (trouble obsessionnel compulsif). Ces indicateurs de mal-être n'ont jamais été observés en milieu sauvage.
D'autres espèces manifestent des signes comparables : perroquet, chinchilla, lapin, par exemple. A.H.