L'emploi du lopéramide chez le chien

Tarek bouzouraa

L'auteur de cet article déclare collaborer avec les laboratoires TVM, Vetoquinol, IDEXX, Hill's dans le cadre de publications scientifiques.

Le lopéramide est une molécule très régulièrement prescrite en médecine humaine pour la prise en charge des diarrhées aiguës. Son emploi en médecine vétérinaire n'est pas aussi important, probablement en lien avec la crainte par les vétérinaires de ses potentiels effets indésirables chez des chiens de race à risque. Cette monographie résume les modalités d'emploi du lopéramide chez le chien.

Mode d'action et effets du lopéramide

Le lopéramide est avant tout un agoniste opioïde des récepteurs µ, dont l'action sur le système nerveux myentérique stimule la motilité intestinale, par le biais d'une activité anticholinergique 1-6

Il a été démontré que la molécule réduisait également les sécrétions de fluides des entérocytes via l'inhibition de la synthèse de prostaglandines E23 et en fixant les récepteurs ä. Leur activation entraîne une baisse de production d'AMPC, ce qui réduit les sécrétions hydro-électrolytiques (H2O, K+, Na+ et Cl-1-7

Par ailleurs, le lopéramide peut se lier à une protéine cytoplasmique nommée calmoduline, qui est alors inactivée. Cette « neutralisation » de la calmoduline évite l'ouverture de canaux à chlorure au pôle luminal des entérocytes et l'hypersécrétion qui lui fait suite 1-7.

Pharmacocinétique et pharmacodynamie

L'absorption intestinale du lopéramide est faible chez le chien (autour de 20 %), ce qui explique son activité locale directement sur le tube digestif 8

Sa diffusion systémique est inférieure à 0,5 % et la molécule circule liée à l'albumine à hauteur de 97 % dans le plasma 8-11

Le lopéramide subit un catabolisme associant une déméthylation oxydative et une glucuronoconjugaison lors du premier passage hépatique. Son excrétion est majoritairement fécale (> 30 %) et faiblement urinaire (< 2 %).

Ses effets délétères sur le microbiome intestinal ne sont pas démontrés

En réduisant la vitesse du transit intestinal, le lopéramide augmente le temps de séjour des agents pathogènes (bactériens ou viraux) et de leurs toxines dans le tube digestif. Il serait ainsi susceptible de déclencher ou aggraver une éventuelle dysbiose 12. Ces informations sont extrapolées des données récoltées chez l'Homme et sont actuellement remises en cause. 

Cependant, bien que cette action délétère présumée du lopéramide ne soit pas prouvée chez le chien, il reste raisonnable de réserver son emploi aux cas de diarrhées aiguës, pour lesquels une entérite bactérienne (colibacillose, clostridiose, salmonellose) n'est pas envisagée. Il pourra tout de même être prescrit pour stabiliser les cas graves de parvovirose, où la diarrhée est incoercible et a tendance à persister 13.

Connaître les effets indésirables du lopéramide pour améliorer son utilisation

Tout d'abord, les chiots seraient plus sensibles au lopéramide que les adultes 14. Par ailleurs, plusieurs races telles que les Collies et leurs croisements, les bergers australiens, les whippets, les bergers des Shetland, les Skye terriers et les Silken windhounds sont considérés comme « races à risque », compte tenu d'un possible portage de l'allèle muté du gène MDR1. Chez ces individus, une toxicité nerveuse, possiblement létale est documentée 14. L'allèle muté présente une délétion de quatre paires de bases, sur le gène ABCB1 responsable d'une synthèse de la glycoprotéine-P tronquée et donc défaillante 13. Or, cette protéine transmembranaire d'efflux est responsable du contrôle des concentrations intracellulaires de plusieurs molécules (dont le lopéramide qui en est un substrat). Ainsi, le lopéramide reste piégé dans le milieu intracellulaire, ce qui est à l'origine de ses effets délétères.

Plusieurs études démontrent que la toxicité du lopéramide n'est pas uniquement dépendante de la présence ou l'absence de la mutation du gène MDR1 chez le chien. Par ailleurs, il n'est pas établi de lien clair entre la gravité des signes cliniques et le caractère homozygote ou hétérozygote muté des individus considérés 15-17. En d'autres termes, un chien de race prédisposée présentant le double allèle muté, n'a pas plus de risque de développer des effets indésirables qu'un chien présentant une hétérozygotie. 

Il reste cependant indispensable de restreindre la prescription du lopéramide aux seuls chiens pour lesquels il n'est pas envisagé que la présence de l'allèle muté puisse être responsable d'effets indésirables. Il faut également encourager les propriétaires de chiens de races à risques à effectuer les dépistages génétiques, car au-delà du lopéramide, il existe une longue liste de molécules sujettes à toxicité (lactones macrocycliques, cyclosporine, vincristine, doxorubicine...).

Place du lopéramide pour la prise en charge de la diarrhée aiguë chez le Chien

Hormis dans le cadre d'une entérite infectieuse avec de graves répercussions (parvovirose notamment, entérites bactériennes), la prise en charge d'une diarrhée aiguë est avant tout symptomatique et non-spécifique. Elle appelle donc l'emploi en premier lieu des régulateurs de la motricité, dont le lopéramide fait partie. Son utilisation est indiquée sur de très courtes périodes (sur trois à cinq jours), en phase de stabilisation du malade et dans le but de réduire les effets indésirables de l'entérite sur l'état général, la douleur viscérale pour finalement maîtriser les pertes de fluides à venir 2

Le lopéramide peut être prescrit après une consultation où le malade repart à son domicile, mais il peut également être employé durant la prise en charge hospitalière des cas plus graves. Dans ce contexte, une réhydratation (orale ou parentérale), un support diététique, l'emploi de protecteurs de la muqueuse et une vermifugation prophylactique pourront renforcer son efficacité. 

En médecine vétérinaire, la seule formulation disposant d'une AMM chez le chien est le Loperal ©. Ce médicament est prescrit à la dose de 0,1 mg/kg 2 fois par jour par voie orale durant trois à cinq jours. 

Conclusion

Le lopéramide est un régulateur de la motricité, dont l'emploi est utile pour la stabilisation des cas de diarrhées aiguës chez le chien. Bien que certains cliniciens puissent craindre son emploi chez les races à risques, cette molécule reste adaptée dans une majorité des cas, notamment là où d'autres antispasmodiques peuvent révéler leurs limites.

Article paru dans La Dépêche Technique n° 187

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