L'anesthésie au quotidien - revoir et concevoir ses protocoles : cas du chien
Samedi 17 Septembre 2022 Anesthésie Douleur 45000© Axience
Caroline DIDIER
L'auteur de cet article déclare participer à la réalisation de conférences et de webinaires sur l'anesthésie et l'analgésie des animaux de compagnie pour le laboratoire Axience ®.
L'anesthésie générale fait depuis longtemps partie intégrante de la pratique vétérinaire moderne au quotidien. Indispensable à la réalisation de nombreux actes, son exercice reste cependant en constante évolution. Connaissant un essor tout particulier depuis une quinzaine d'années, notamment avec l'attention croissante portée au bien-être animal et à l'analgésie, l'éventail des médicaments disponibles ne cesse de s'élargir. Dans ce contexte, il devient parfois complexe de concevoir une prise en charge anesthésique qui réponde à la fois aux besoins de l'animal et de l'acte nécessitant l'anesthésie. Dans cet article nous verrons donc comment aborder la méthodologie de mise en place d'un protocole anesthésique adapté au patient, les médicaments disponibles ainsi que les associations possibles.
CONCEPT D'ANESTHÉSIE BALANCÉE
Avant d'envisager la mise en oeuvre d'un protocole anesthésique pour le patient, il convient de revenir à quelques notions de bases. Toujours précédée d'une évaluation soignée du patient et des indications d'intervention, l'élaboration d'un protocole d'anesthésie suppose de répondre à quatre objectifs principaux que sont narcose, analgésie, myorelaxation et sécurité du patient. En effet, seule la réalisation conjointe de ces quatre objectifs permet d'assurer le bon déroulement de l'anesthésie mais surtout la récupération post-intervention. Si la réalisation des trois premiers objectifs relève exclusivement de l'usage de médicaments, la sécurité du patient ne peut être assurée que par une utilisation raisonnée de ces mêmes médicaments et la mise en place des lignes de vie et d'une surveillance anesthésique continue. Bien qu'indispensables, ces deux derniers points sortent du scope de cet article et ne seront pas abordés.
En revanche, l'utilisation raisonnée des médicaments de l'anesthésie requiert la connaissance de leur effets recherchés, non recherchés ainsi que des bases pharmacologiques de leur utilisation, seule ou en combinaison. Partant du principe qu'aucun médicament disponible ne permet seul de remplir ce cahier des charges, l'élaboration d'un protocole d'anesthésie repose toujours sur l'administration de plusieurs substances possédant chacune une ou plusieurs des propriétés attendues : c'est le concept d'anesthésie balancée. Par ailleurs, la co-administration de plusieurs médicaments permet de réduire les doses de chacun par rapport à leur administration unique. Ainsi, on obtient des effets recherchés identiques ou augmentés avec des doses (très) réduites, limitant ainsi le risque de survenue d'effets non recherchés morbides : on parle ici de potentialisation.
ÉTAPES DE L'ANESTHÉSIE ET CLASSES DE MÉDICAMENTS
En règle générale, on découpe la période per-anesthésique en quatre grandes étapes que sont la prémédication, l'induction, la maintenance et le réveil.
Lors de la prémédication, on cherche à répondre à cinq objectifs principaux que sont la sédation, la myorelaxation, l'analgésie pré-emptive, la potentialisation et la sécurité du patient. Selon l'état de santé du patient, tous ne sont pas toujours réalisables mais reposent sur quatre grandes classes de médicaments utilisées préférentiellement en association : phénotiaziques, alpha 2-agonistes, opioïdes et benzodiazépines. Les propriétés de chacun d'entre eux et leurs posologies seul ou en association chez le chien sont détaillées dans le tableau ci-après.
L'induction est l'étape qui conduit à la perte de conscience et des réflexes permettant de mettre en place la sonde endo-trachéale et d'assurer la transition vers la phase de maintenance, volatile ou injectable. Elle doit idéalement être réalisée avec un médicament de courte durée d'action, titrée à effet, rapide afin d'assurer la perméabilisation des voies aériennes dans le calme tout en limitant les risques. Dans le cas de la kétamine, elle permet en fonction de la dose utilisée une induction plus ou moins une maintenance de durée fixe (<40 minutes). On retiendra qu'elle induit une dissociation sans myorelaxation et doit toujours être associée à un sédatif et myorelaxant puissant dans ce contexte.
Le tableau présenté ici ne met en lumière que l'aspect prémédication et induction de l'anesthésie générale mais la phase de maintenance anesthésique et analgésique doit également être pensée dès la préparation de l'anesthésie.
Par ailleurs, tous les médicaments ne sont pas ici présentés et le lecteur est renvoyé à la bibliographie pour l'utilisation notamment de l'acépromazine, du fentanyl, de l'alfaxalone et des anti-inflammatoires, qui s'inscrivent dans le même concept d'anesthésie balancée.
Pour le plan de maintenance anesthésique, il peut dans certains cas être choisi fixe, c'est-à-dire à durée déterminée par la durée d'action du médicament, généralement un dissociatif à forte dose, pour un acte maitrisé et de durée inférieure à 30 minutes. A contrario, l'anesthésie dynamique, largement plébiscitée pour les actes de durée supérieure ou imprévisible, repose sur l'administration continue d'un médicament à effet immédiat, court, titrable à effet et rapidement réversible dès l'arrêt d'administration. On distingue ainsi l'anesthésie volatile via l'administration de gaz halogénés par voie inhalée et l'anesthésie par perfusion continue thérapeutique d'un médicament hypnotique (propofol ou alfaxalone notamment).
Enfin, il convient de toujours envisager l'analgésie en suivant quatre préceptes fondamentaux : elle doit être pré-emptive (ou précoce), adaptée à l'intensité du stimulus douleureux, adaptée à la durée de ce stimulus et enfin multimodale. Ainsi, parmi tous les médicaments du tableau possédant des propriétés analgésiques suffisantes pour la nociception chirurgicale, leur durée d'action varie considérablement et, là où la méthadone peut couvrir l'intégralité de la durée d'une chirurgie simple, les alpha 2-agonistes seuls seront largement insuffisants. Les différentes classes de médicaments analgésiques n'étant pas substituables entre elle, la multimodalité suggère donc le recours combiné à diverses molécules ciblant différentes voies de la douleur et limitant ainsi les phénomènes de sensibilisation centrale et périphérique. Elle reste ainsi l'un des points clefs d'une bonne récupération post-anesthésique. Ainsi que ce soit en pré, per ou post-opératoire, il est vivement encouragé de combiner non seulement les médicaments de l'anesthésie mais également ceux de l'analgésie (ex. en post-opératoire de stérilisation on conseillera l'administration conjointe de buprénorphine et anti-inflammatoire). Ces sujets vont bien au-delà du scope de cet article, et font l'objet de nombreux autres publications et ouvrages qu'il convient de consulter pour une approche plus détaillée.