Entéropathie chronique canine : diététique et transplantation fécale au coeur du traitement

Il faut toujours s'assurer que les recommandations ont été correctement suivies car beaucoup de propriétaires ne respectent pas le protocole sans même en avoir conscience : distribution de friandises, de restes de table, promenade du chien en liberté, enfants qui partagent leur goûter à l'insu de leurs parents, etc.

© David Quint

Aurore HAMELIN

Gastro-entérologie

La pathogénie des entéropathies chroniques du chien repose sur la génétique, l'immunité mucosale et le microbiote intestinal. L'alimentation joue un rôle majeur dans leur apparition. Le vétérinaire peut modifier la flore digestive par des aliments spécifiques ou une transplantation fécale.

« La génétique, l'immunité mucosale et le microbiote intestinal sont au coeur de la pathogénie des entéropathies chroniques (EC) du chien », a souligné notre consoeur allemande Kathrin Busch (ECVIM-CA spécialiste en médecine interne, université de Munich) lors d'une webconférence sur le microbiote intestinal du chien organisée par le Purina Institute, le 15 novembre.

Si chez l'Homme certains facteurs tel que le stress sont décrits comme événements déclencheurs d'EC, chez le chien, l'alimentation joue un rôle majeur dans la survenue d'EC.

Le traitement des EC ne passe pas par un changement génétique, ni un changement du système immunitaire, ni même un changement de microbiote. Cependant, il demeure possible pour le vétérinaire d'influer, voire de modifier ce microbiote, notamment par une alimentation spécifique. Un changement alimentaire est, la plupart du temps, facile à mettre en place. Un de ses objectifs est de faire varier le microbiote. En effet, certains éléments de ces aliments comme la vitamine A, la vitamine D, les acides gras oméga 3 et certains lipides, stimulent les cellules de l'immunité locale du tube digestif.

Notre consoeur a cité un exemple bien connu chez l'Homme de modification de la flore digestive : l'alimentation dite occidentale, hypercalorique, riche en protéines animales, en lipides saturés et pauvre en fibres. Elle favorise les populations bactériennes de type Bacteroïdes qui produisent des dérivés indolés néfastes à notre santé.

En ce qui concerne le chien, une étude de 2018 de Schmidt et al. a montré que l'alimentation dite Barf, très riche en protéines animales, en graisse animales saturées et pauvre en fibres, peut favoriser des populations de Clostridium perfringens et d'E. coli (index de dysbiose plus élevé chez les chiens nourris au Barf comparé à celui des chiens nourris avec des aliments industriels).

Améliorer la clinique de l'animal

L'intervenante a cité d'autres études vétérinaires comme celle de Wang et al. de 2019 qui montre une rémission de 69 % chez les 29 chiens malades d'EC avec une nouvelle alimentation contenant des protéines hydrolysées. La flore s'est modifiée avec une augmentation des populations Firmicutes spp., C. hiranonis et Blautia spp. et une décroissance des colibacilles et de Clostridium perfringens.

Une étude italienne (Bresciani et al. 2018) montre que la distribution d'une ration dépourvue de protéines animales modifie le microbiote des 14 chiens atteints d'EC, sans altérer celui des 10 chiens sains du groupe contrôle. Le changement alimentaire n'a donc pas forcément le même impact selon le statut médical de l'animal.

« Quoi qu'il en soit, l'objectif est toujours d'améliorer la clinique du chien ou du chat, c'est-à-dire ses symptômes : diarrhée, vomissement, léchage, douleur abdominale... Mais comment trouver la bonne alimentation parmi les diverses options proposées : hyperdigestible, hypoallergénique, riche en fibres, pauvre en graisses, pour chien à estomac sensible... ? », s'interroge notre consoeur.

Les médecins ont les mêmes interrogations car ils disposent aussi de régimes variés qu'ils peuvent proposer à leurs patients.

Quantifier la réponse aux régimes

« Un article récent indique que les causes exactes de l'IBD* chez l'Homme ne sont toujours pas élucidées, rendant ainsi compliquées les recommandations nutritionnelles », précise Kathrin Bush. Il est donc normal qu'il n'y ait pas non plus une seule solution en médecine vétérinaire. Le praticien doit donc faire un choix, le tester. Il ne doit pas se décourager en cas de non réponse. Un aliment différent sera alors testé.

Certains carnivores seront améliorés par des aliments hyperdigestibles, d'autres par des aliments hydrolysés, etc. Une première étude (Manchester et al.) de décembre 2022 porte sur l'utilisation d'un aliment dit élémentaire, c'est-à-dire composé uniquement d'acides aminés et non de protéines. Quinze des vingt-deux chiens atteints d'EC ont répondu dans les 14 jours avec une modification notable de la flore fécale.

Le suivi des animaux est essentiel avec un contrôle au bout de 15 jours. Il faut toujours s'assurer que les recommandations ont été correctement suivies car beaucoup de propriétaires ne respectent pas le protocole sans même en avoir conscience : distribution de friandises, de restes de table, promenade du chien en liberté, enfants qui partagent leur goûter à l'insu de leurs parents, etc. Il faut également quantifier la réponse : absente, partielle ou complète.

Pratiquer une transplantation de microbiote fécal

Pour certains praticiens, la tentation est grande de passer rapidement à des prescriptions antibiotiques en cas d'échec du premier ou du second changement alimentaire. Notre consoeur les encourage à pratiquer plutôt une transplantation de microbiote fécal (FMT en anglais).

Il existe trois raisons d'essayer.

Un, le produit est naturel. Deux, aucune preuve vétérinaire n'existe sur cette technique, des études sont en cours. Trois, le microbiote, par les métabolites qu'il produit, agit sur le système immunitaire. « Nous avons réalisé plusieurs centaines de FMT et nous n'avons que quelques cas où des effets indésirables ont stoppé la transplantation : douleur abdominale, diarrhée persistante ou hématochézie », précise la conférencière. Chez l'Homme, moins de 1 % des patients présentent des effets secondaires sévères.

Comment réaliser une FMT ? Il faut récupérer les selles fraîches d'un donneur sain et les peser. Les selles doivent être inspectées manuellement, puis diluées et mixées avant d'être filtrées et diluées de nouveau.

Bien choisir les chiens donneurs

Le liquide est placé dans des seringues dont l'embout est relié à une sonde. Le receveur n'est pas anesthésié, ni tranquillisé. Il doit avoir vidé son rectum lors d'une promenade hygiénique préalablement à la transplantation. Le contenu des seringues est transplanté dans le rectum et le côlon du receveur.

La manipulation peut être réitérée 2 à 5 fois par semaine pendant plusieurs semaines.

Les selles peuvent être conservées avec du glycérol (concentration finale de 10 %) au congélateur à - 20° C ou - 80° C pour une durée maximale de 3 mois. La conservation altère la qualité de la FMT : « L'idéal est toujours de disposer de selles fraîches », a souligné Kathrin Bush.

Les chiens seront choisis non seulement pour leurs caractéristiques propres mais aussi pour la disponibilité et le sérieux de leurs propriétaires. Le chien doit peser plus de 10 kg, être âgé d'au moins 1 an, avoir un score corporel idéal et aucun trouble du comportement. Son alimentation exclut le Barf pour éviter la transplantation de salmonelles ou de Campylobacter. Le chien doit être en bonne santé et n'avoir pas reçu de traitement antibiotique depuis au moins 6 mois.

Des antibiotiques en dernier recours

Les traitements antibiotiques lors d'EC ne devraient plus être la deuxième option après l'échec du changement de régime alimentaire, ne serait-ce que pour être microbiote friendly ! Notre consoeur trouve préférable de faire plusieurs essais alimentaires puis de proposer la transplantation de microbiote fécal, avant de proposer d'autres traitements plus agressifs pour l'organisme.

De plus, elle précise que cette nouvelle technique en médecine vétérinaire peut être proposée aux carnivores quel que soit le stade du traitement de l'EC.

En médecine humaine, la FMT n'est pas réservée aux seuls troubles digestifs mais aussi à des affections telles l'autisme, la sclérose en plaques. L'avenir dira si cette technique peut aussi traiter d'autres affections des carnivores.

* IBD : Inflammatory Bowel Disease ou maladies inflammatoires de l'intestin.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1700

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