En quoi l'exercice de l'autorité est-il différent d'une posture autoritaire ?
Samedi 19 Septembre 2020 Place du doute 37358« Que votre autorité ne tire sa force, ni de la dureté du commandement, ni de la rigueur des châtiments, mais de la supériorité de votre sagesse » ISOCRATE - Les discours de morale - IVe s. av. J.-C.
Quelle presse l'autorité a-t-elle de nos jours ? Celle-ci n'est-elle pas trop souvent confondue avec l'autoritarisme ? Pourtant l'autorité et l'autoritarisme n'ont que peu de choses en commun tant ces termes décrivent un mode de pensée ou des comportements diamétralement opposés. Si bien que le responsable qui pratique un management autoritaire use d'une autorité dévoyée qui fait le lit à de nombreux lieux communs et qui surtout génère l'entropie.
Une crise de l'autorité ?
Nous déclarons sans cesse que nous vivons une crise de l'autorité, d'aucun pensant qu'elle est majeure et d'autres affirmant qu'elle est sans précédent. Cette crise se manifesterait au travers de victimes tels que les politiques, les enseignants, les managers, les parents... bref à peu près tous ceux qui ont un rôle de responsable dans notre société. Sans doute l'autorité est-elle malmenée mais ce, depuis longtemps. Nietzsche1 écrivait « on se croit de nouveau en danger d'esclavage dès que le mot autorité se fait seulement entendre » et en effet, depuis plusieurs siècles, le mot est déjà insupportable.
Une mise à mal de la hiérarchie ?
La notion de hiérarchie passe historiquement d'un statut de sacré (hieros) à une confrontation qui revendique l'autonomie, composante occidentale depuis le XVIIIe siècle. Cette autorité est bien souvent vécue comme non légitime, oppressive et arbitraire donc vue comme un exercice abusif du pouvoir. Si nous considérons qu'il y a une crise de l'autorité, peut-être nous donnera-t-elle l'opportunité d'examiner ce qui n'allait pas dans l'exercice du pouvoir. En effet, tant que l'autorité « marchait », il n'était pas nécessaire d'étudier sa mise en oeuvre. Ajoutons que nous n'avons pas souvent l'occasion de questionner le sacré, cette crise nous donne donc matière à penser, par exemple : la crise de l'autorité n'aurait-elle finalement pas toujours existé ? le pouvoir suffit-il à ordonner l'entreprise ? l'exercice du pouvoir ne serait-il pas difficile justement parce que la légitimité du responsable peut être contestée ?
Ordonner, autorité, autoritaire...
Qu'attendent les collaborateurs de leur manager ? Sans doute de ne pas simplement être commandé ou recevoir un ordre. Pour le manager, l'enjeu est d'être en capacité à ordonner, ce qui est très différent : c'est mettre en ordre, mettre de l'ordre. Lorsque le pouvoir n'est rien d'autre que le pouvoir, il échoue à mettre en ordre ou à mettre de l'ordre. L'autorité c'est autre chose que le pouvoir et elle peut même se passer de lui. On peut en effet parler « avec autorité » sans avoir de pouvoir. Mais les différences principielles des deux termes n'ont pas été traduites en termes managériaux, la confusion règne : est sensé correspondre au mot autorité le mot autoritaire, c'est en tout cas ce que l'on constate souvent dans la pratique des responsables. Des générations entières de managers dirigent avec ce prisme dénaturé surjouant la posture autoritaire. Comme le propose Sartre, le grade confère autorité et non supériorité ; la notion peut être subtile mais l'enjeu mérite de se pencher sur sa propre représentation de l'autorité.
Une autorité véritable
Est-il possible de définir ce qu'est la véritable autorité ? En tout cas, nous pouvons répondre par contraste : c'est ce qui peut dispenser à devoir être autoritaire. Il est primordial de distinguer ce que nous sommes souvent amenés à confondre. La personne autoritaire exerce un pouvoir qui peut être pour lui source d'une jouissance perverse prenant un malin plaisir à soumettre ceux qu'il imagine être plus faibles que lui. Le fait d'occuper une position institutionnelle supérieure à celle du collaborateur est le plus court chemin pour essentialiser cette position et maintenir en situation de faiblesse ceux qu'il peut tyranniser. Et bien sûr, l'exercice de son pouvoir est directif, restrictif et répressif. Le registre simpliste de l'autoritarisme se borne à commander, interdire et sanctionner. La délégation, la confiance et l'autorisation (une des finalités de l'autorité) appartiennent au registre de l'autorité. Sa nature profonde est d'utiliser son pouvoir pour autoriser, permettre, accepter en ouvrant le plus grand nombre de possibilités à ses collaborateurs.
Accompagner, aider, orienter...
Comment alors distinguer concrètement autorité et autoritarisme pour ne pas tomber dans les affres d'un commandement négatif ? Là où l'autoritarisme impose et contraint, l'autorité permet et libère. Mais encore, le manager veut-il susciter la crainte ou inspirer le respect ? Ou alors, souhaite-t-il augmenter la puissance du collaborateur ou la diminuer ? Enfin, le manager souhaite-t-il soumettre car il se représente le binôme manager/collaborateur comme maître/esclave ? Si le maître est le dominus (celui qui domine), il va nécessairement tout faire pour que son emprise maintienne le collaborateur dans la servitude. Si le manager est le magister, il aidera son collaborateur à prendre de la hauteur, à se réaliser. Si la question de l'autorité continue à se rapporter à ces représentations de maître, esclave, supérieur, inférieur cela signifie que nous n'avons pas conscience du rôle essentiellement pédagogique du manager. Sinon nous comprendrions que dans cette relation hiérarchique, c'est le « maître » qui est au service de son « élève », ce qui engendre d'énormes responsabilités envers ceux dont la mission est de former les esprits.
Le manager devient-il un tyran s'il fait usage de l'autorité qui est pourtant consubstantielle à sa fonction ? Concluons plutôt que la faute la plus répandue est de ne pas en user pour permettre aux collaborateurs de faire croître leurs aptitudes ou les aider à développer leur plein potentiel ? Et si être manager signifiait être dépositaire de l'autorité : une responsabilité qu'il faudrait assumer et dont nous devrions répondre au service d'un collectif. Il ne s'agirait pas d'un privilège à utiliser pour ses intérêts propres et un bénéfice égoïste. Il ne faut pas confondre l'exercice de l'autorité avec une posture autoritaire.
CONSEILS DE LECTURE
Hannah Arendt
- la crise de l'éducation Folio, 2007
- le système totalitaire, Pocket, 2005
Diderot
- l'Encyclopédie, GF Flammarion, 1993
1.Nietzsche F.W., Crépuscule des idoles, 1888, GF Flammarion, trad. Henri Albert, 2017, § 39