« Je suis sollicité pour un éclairage nouveau et complémentaire au sein du conseil scientifique Covid-19 »

"J'ai une approche académique et de terrain des maladies infectieuses émergentes et des crises sanitaires", précise notre confrère Thierry Lefrançois.

© Franck DUNOUAU 49

Santé publique

Notre confrère Thierry Lefrançois a été nommé, le 17 février, au conseil scientifique Covid-19 (lire DV n° 1562). Lui qui a toujours travaillé à l'interface santé animale et santé humaine y apportera une expertise en phase avec le concept One Health. Il précise les missions qui l'attendent.

La Dépêche Vétérinaire : Vous avez rejoint le conseil scientifique Covid-19 sur nomination du ministère de la Santé, le 17 février. Quelle expertise pourrez-vous y apporter ?

Thierry Lefrançois, spécialiste des approches intégrées et des réseaux de santé au Cirad 1 et inspecteur de santé publique vétérinaire : Je dirige au Cirad, depuis 2 ans, le département Systèmes biologiques qui regroupe les unités de recherche travaillant en santé animale, santé des plantes, biodiversité et adaptation des plantes.

Auparavant, j'étais à la tête d'une grosse unité de recherche de ce département sur les approches intégrées en santé animale.

Je suis vétérinaire mais j'ai toujours travaillé à l'interface santé animale-santé humaine : thèse à l'Inserm2 et à l'école vétérinaire, puis recherches au Cirad sur les zoonoses : trypanosomose, puis fièvre du Nil occidental, influenza aviaire...

Au Cirad, depuis plus de 20 ans, j'ai travaillé sur le diagnostic, l'épidémiologie et le contrôle des maladies animales infectieuses tropicales, notamment au Burkina Faso, au Kenya et en Guadeloupe.

J'ai une approche académique et de terrain des maladies infectieuses émergentes et des crises sanitaires. J'apporterai aussi un réseau de collègues et de partenaires utiles à la mobilisation de tous pour cette crise sanitaire.

Au sein du conseil scientifique Covid-19, j'envisage de mobiliser mes connaissances et les connaissances de mes collègues au Cirad sur le diagnostic, la surveillance, la vaccination et l'appui à la gestion des maladies infectieuses ou encore sur les mécanismes de transmissions et d'émergence de maladies comme la fièvre de la vallée du Rift, Ebola, ou le Mers-CoV (coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient).

J'y apporterai mon expérience de terrain, par exemple dans les Caraïbes, dans la gestion de la crise de l'influenza aviaire au sein d'un réseau régional de santé (CaribVET) ou, en métropole, avec le montage, avec le ministère de l'Agriculture, de la veille sanitaire internationale au sein de la Plateforme nationale d'épidémiosurveillance en santé animale. Plus globalement, mon expérience sur les réseaux de santé à l'international et dans les départements d'Outre-mer offre une expertise complémentaire.

Mon réseau est construit depuis de nombreuses années avec les partenaires de la santé animale et santé publique vétérinaire (Cirad, Inrae3, écoles vétérinaires, Direction générale de l'alimentation, Anses4, Organisation mondiale de la santé animale (OIE), Académie...), ce qui permettra de mobiliser l'expérience des vétérinaires sur les crises sanitaires ; leur connaissance et leur expérience sur les coronavirus ; les ressources et compétences du monde vétérinaire et agronomique en termes de diagnostic, de séquençage ou de vaccination ; les connaissances et recherches sur l'origine de la pandémie et sur la diffusion du virus chez l'animal.

Ce qui est important, c'est la composition globale du conseil scientifique, multidisciplinaire, regroupant des expériences diverses, sur des bases scientifiques solides.

D.V. : La profession a accueilli très favorablement votre nomination. Comment concrètement les vétérinaires peuvent-ils être impliqués dans la lutte contre la pandémie ?

T.L. : Je suis et serai sollicité pour un éclairage nouveau et complémentaire au sein du conseil scientifique sur l'ensemble des questions qu'il traite collégialement.

Plus spécifiquement, je pourrai notamment participer aux travaux sur le testing, le diagnostic et le séquençage (nouvelles méthodes, mobilisation des plate-formes et laboratoires de santé animale ou de recherche agronomiques), sur la compréhension de l'évolution du virus et des variants, sur la stratégie de vaccination, sur la transmission inter-espèces.

L'expérience de gestion de crise du ministère de l'Agriculture, via la surveillance et la vaccination, ou mes expériences d'appui scientifique à la gestion des émergences au Sud, comme aux Caraïbes lors de la crise influenza aviaire, pourront être combinées aux expertises des autres membres du conseil scientifique.

La formation de vétérinaire me donne pour cela plusieurs atouts et, notamment, la connaissance des coronavirus à la fois en recherche vétérinaire (exemple : Mers-CoV, réservoirs chauve-souris) et en pratique quotidienne.

Les vétérinaires ont une connaissance poussée de l'épidémiologie prédictive et populationnelle et la maîtrise des dynamiques de diffusion des maladies et de transmissions inter-espèces et des approches multidisciplinaires (microbiologie, épidémiologie, sciences humaines et sociales...). Avec leur ministère, l'Agriculture, ils sont également au fait de la gestion de crises sanitaires au niveau national (influenza aviaire, bluetongue, peste porcine africaine...) et international, y compris pour des maladies émergentes zoonotiques (influenza aviaire, fièvre de la vallée du Rift).

Nous faisons face actuellement au besoin de développer des recommandations vis-à-vis de la diffusion du virus chez l'animal (en lien avec l'OIE, l'Efsa5...).

Je soulignerai également la mise en oeuvre, par les laboratoires vétérinaires départementaux, des tests diagnostic PCR et celle des tests et de leur développement dans les départements d'Outre-mer par le Cirad (Guadeloupe, Réunion).

La médecine vétérinaire a une expertise reconnue dans le développement de vaccin.

Enfin, les vétérinaires se sont proposés pour être mobilisés dans la réserve sanitaire et apporter du matériel, tout comme l'ont fait les laboratoires vétérinaires et de recherche en santé animale.

D.V. : Cette nomination, selon vous, crée-t-elle un précédent favorable de bon augure pour l'élargissement futur des actionsOne Health ?

T.L. : Oui, clairement, c'est emblématique d'un début de décloisonnement des secteurs de la santé humaine, animale et de l'environnement et du besoin d'aller beaucoup plus loin sur les approches intégrées de la santé (One Health).

Cela repositionne la vision globale et intégrée indispensable pour gérer notre monde complexe, vision largement portée par les vétérinaires, et l'urgence de participer activement à la construction des socio-écosystèmes peu favorable aux émergences donc en tenant compte de l'Homme, de l'animal, de l'environnement, de l'élevage, de la faune sauvage, de la biodiversité...

Cela passe par la mise en oeuvre réelle de l'approche One Health multisectorielle, multidisciplinaire et multi-acteurs et par le déploiement d'initiatives concrètes pour anticiper et prévenir les pandémies comme l'initiative Prezode lancée au One Planet Summit, le 11 janvier, par le président de la République et portée par le Cirad, l'Inrae et l'Institut de recherche pour le développement 6 .

Le Cirad développe depuis longtemps ces approches intégrées qui ne doivent plus être restreintes à la recherche mais bien à l'interaction science-décision et doivent permettre d'améliorer la surveillance et la gestion des émergences mais aussi de prévenir les pandémies.

Au niveau international, la création d'un haut conseil One Health a été annoncée au Forum de la paix, le 12 novembre, et va dans le sens d'une institutionnalisation des approches intégrées de la santé.

1 Cirad : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.

2 Inserm : Institut national de la santé et de la recherche médicale.

3 Inrae : Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.

4 Anses : Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

5 Efsa : Autorité européenne de sécurité des aliments.

6 Plus d'infos sur Prezode : https://cutt.ly/ylxI1iW.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1563

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